Un fleuron du brutalisme d’après-guerre retrouve sa superbe

Un fleuron du brutalisme d’après-guerre retrouve sa superbe

Début des années 2000 : le quartier Les Bleuets, 600 logements sociaux à Créteil, s’est beaucoup dégradé et a mauvaise réputation. 2019 : un

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Début des années 2000 : le quartier Les Bleuets, 600 logements sociaux à Créteil, s’est beaucoup dégradé et a mauvaise réputation. 2019 : une longue réhabilitation a adapté la résidence au goût du jour tout en respectant son originalité. Une opération coûteuse mais exemplaire.

600 logements sociaux, des espaces communs décrépis, une réputation de quartier difficile qui colle au béton : à Créteil, la résidence Les Bleuets, malgré son nom bucolique, avait tout pour disparaître. En deux coups de bulldozer, les dix barres délabrées, édifiées sur d’anciennes carrières à l’orée des années 60, auraient rejoint le cimetière de tant de cités honnies de l’après-guerre. Qui aurait regretté tout ce béton gris, ces mers de voitures, ces appartements mal isolés et sombres ? Effidis, le bailleur, s’interrogeait ; Créteil, la ville, hésitait… Il s’en est fallu d’un cheveu, et surtout de l’engagement de deux architectes passionnés, Dominique Renaud et Philippe Vignaud, qui, depuis une vingtaine d’années, travaillent au sein de l’agence RVA à la réhabilitation des quartiers dégradés. « Il a fallu convaincre qu’il y avait là une œuvre, qu’il fallait restituer son originalité tout en la rendant habitable pour notre époque », explique Philippe Vignaud, co-fondateur de l’agence RVA. Les Bleuets, tout un quartier de Créteil construit entre 1959 et 1962, sont bien l’œuvre maîtresse de Paul Bossard, architecte brutaliste, c’est-à-dire représentant d’un mouvement architectural qui eut son heure de gloire dans l’immédiat après-guerre. À ce titre, la résidence a été labellisée « Patrimoine du XXe siècle » en 1999.

Matières brutes et stores colorés

Le brutalisme, qui affectionne les matières brutes – le béton, la pierre, le bois, le verre – et les géométries simples, s’y affiche avec vigueur. Pas question de l’édulcorer… D’où le travail des architectes, soucieux de « restituer les matériaux et le geste de construction, tout en améliorant le confort », souligne Dominique Renaud, responsable du pôle Réhabilitation chez RVA. Première étape : démolir un bâtiment. Cette première intervention, en créant des rues, a ouvert sur son environnement urbain l’ensemble de cette résidence située à une dizaine de minutes du métro. A suivi le travail sur les façades : bien loin de s’effacer, le béton-roi de l’époque devait être traité et protégé. L’aluminium, qui lors d’une précédente réhabilitation avait chassé les menuiseries bois originelles, a été retiré tandis qu’une isolation devenue indispensable était assurée par l’intérieur. Sur les vastes parois vitrées, des stores de couleur coulissants ont été installés – ils rappellent les stores en toile à l’italienne que Paul Bossard avait voulus – et permettent d’installer « le noir en plein jour dans des appartements souvent occupés par des personnes qui travaillent dans les hôpitaux de Créteil, et donc souvent de nuit… ».

60 000 euros par logement

L’espace extérieur, devenu parking au fil des années, a permis de créer un parc vallonné, entre grands arbres et prairies fleuries, sans que soit négligée l’accessibilité pour les personnes en fauteuil roulant. À l’intérieur des appartements, certaines cloisons ont été supprimées pour offrir une plus grande luminosité aux pièces. Résultat, « c’est une réussite », assure le bailleur qui explique avec une fierté visible qu’il fait régulièrement « visiter la résidence à des délégations étrangères, venues voir une œuvre qui fait figure de référence du brutalisme de l’après-guerre, au même titre que les réalisations d’architectes comme Aillaud ou Pouillon ». Il est vrai, indiquent les architectes, que la réhabilitation, particulièrement accompagnée par l’Anru, a pu mobiliser « 60 à 65 000 euros par logement, une somme exceptionnelle ». À Créteil, le regard posé sur Les Bleuets change peu à peu. Et les 533 appartements restants, désormais régulièrement demandés, sont tous occupés.

La réhabilitation, c’est de la politique, de l’économique, du social…

Pour réhabiliter Les Bleuets, il aura fallu compter… près de vingt ans ! Trop long ? « Peut-être », soupire Philippe Vignaud, architecte co-fondateur de l’agence RVA. « Mais c’est le temps nécessaire… » Entre le moment où s’exprime l’idée et celui des premiers coups de pioche, bien des années s’écoulent : celles de la réflexion, de la concertation avec les habitants, de l’instruction des dossiers de financement, du lancement des études de maîtrise d’œuvre… « Il y a là des préoccupations politiques, des contraintes économiques, des exigences sociales. Il faut compter une décennie… » poursuit-il. Et le fait qu’une résidence soit labellisée, même s’il inspire un salutaire respect, ne facilite rien. Arrivent enfin les premiers travaux. Aux Bleuets, c’est en 2010. Au fur et à mesure que l’argent se débloque, les appartements sont réhabilités. Suivent les études de maîtrise d’œuvre du projet de paysage. Puis, les interventions sur le parc, les plantations, îlot par îlot. Dix années ou presque s’écoulent encore. Juin 2019 : à la tête d’une petite troupe d’urbanistes et d’architectes admiratifs, le bailleur social fait visiter les bâtiments. C’est une bien longue histoire qu’il leur raconte.