À la tête de la toute jeune maison d’édition Terre urbaine, la géographe Anne-Solange Muis défend une ligne de publication exigeante, qui ausc
À la tête de la toute jeune maison d’édition Terre urbaine, la géographe Anne-Solange Muis défend une ligne de publication exigeante, qui ausculte nos façons d’habiter la planète. Avec elle, nous avons pris le pouls du Grand Paris, calme ou trépidant, du cimetière de Montparnasse au parc naturel régional du Vexin français…
Le Grand Paris en un souvenir ?
Je suis une vraie banlieusarde, née à Paris, dans le 15e arrondissement mais ayant grandi en périphérie de la capitale. D’abord à Cergy-Pontoise, dans un HLM des années 1970, où tout était, comment dire, très… collectif, puis en marge de Pontoise, dans un petit pavillon mitoyen avec jardin. Paris a toujours été difficile d’accès pour la banlieue, mais plus encore à l’époque, où le RER n’existait pas : comme toute banlieusarde, j’avais ce fantasme de la capitale, que l’on a envie d’arpenter, mais pas d’habiter, car elle terrorise un peu, avec son bruit, sa foule. À la Toussaint, j’y partais en vacances chez mes grands-parents : ma grand-mère m’emmenait porte d’Auteuil, sur les manèges à chevaux de bois, ou sur les balançoires du jardin du Luxembourg. Petite, j’étais fascinée par cette modernité où brillaient les éclats d’une féerie ancienne, et puis, évidemment par la Tour Eiffel !
Un jardin secret ?
Je vis à Saint-Mandé, juste à côté du bois de Vincennes. J’y vais donc quasi quotidiennement, mon itinéraire habituel traversant la partie la plus sauvage du bois, la plus romantique selon moi, avec ses vieux arbres plantés il y a quelque 150 ans par Adolphe Alphand, le paysagiste du baron Haussmann. Mais lorsque je viens à Paris, j’aime aller bouquiner au cimetière de Montparnasse, en particulier en été, où les arbres de Judée qui bordent les allées sont en fleurs ; parce que Gainsbourg, chanteur que j’adore, y est enterré, mais aussi car j’aime les cimetières en général, qui représentent de vrais lieux de recueillement dans la ville. Ils me font penser aux temples des métropoles asiatiques, qui apportent un peu de paix dans une urbanité très agressive. Pour moi, les cimetières constituent leur pendant occidental : personne, pas un bruit, c’est l’endroit idéal pour lire et rêver.
Un coup de cœur ?
Les Parcs naturels régionaux (PNR), qui protègent la ruralité francilienne. J’aime beaucoup ceux de la Haute vallée de la Chevreuse ou du Vexin français : j’ai en effet grandi juste à côté, à la frontière avec ces deux espaces, l’urbain d’un côté avec Nanterre et les tours de La Défense, et de l’autre côté, la verdure, l’échappatoire. Ce sont ces parcs qui stoppent la ville : s’ils n’étaient pas là, peut-être l’urbanisation galopante de la région parisienne aurait-elle continué bien au-delà. Plus proches de Paris, j’aime aussi beaucoup les quais de Seine, les bords de Marne, tout ce qui est bords de rivière en fait, et qui fait pour moi le lien avec le grand paysage. Quand je me balade en bord de Seine, j’imagine déjà l’embouchure du fleuve au Havre : c’est une ouverture sur une autre dimension, que je trouve assez exceptionnelle dans une grande métropole.
Un coup de gueule ?
Le périphérique ! Il est à l’image des tours Duo, ces grandes tours de guingois construites par Jean Nouvel, qui me semblent complètement déphasées par rapport à leur époque, c’est une infrastructure de circulation obsolète tout comme son échelle… S’il devait y avoir un périphérique grand-parisien, ce devrait être à l’A86, la Francilienne, plus large, plus incluante, de jouer ce rôle. Le périphérique est un non-sens dans le cadre du Grand Paris, à la fois coupure entre la capitale et sa banlieue, pollution urbaine, visuelle et sonore, autoroute dans une ville qui ne rêve que de promenades plantées… Je pense qu’il est de toute façon condamné : tôt ou tard, il sera transformé en boulevard piéton, avec au centre une voie de bus et de tramway.
Un rêve ?
Je pense que tout l’enjeu du Grand Paris est d’arriver à créer un territoire du commun au sein d’une métropole hétéroclite. Pour moi, cela ne peut se faire qu’à travers des lieux attractifs, apaisés, de vrais espaces publics qualitatifs, qui génèrent un sentiment d’appartenance à cet ensemble disparate. En bref, des espaces où l’on ait envie de s’arrêter et de se rencontrer… et qui ne soient pas que des cimetières (rires).
Retrouvez l’intégralité de l’article dans le 34ème numéro d’Objectif Grand Paris.
Crédit photo : Vincent Lappartient.