« Apprendre à être urbain avec les non humains »

« Apprendre à être urbain avec les non humains »© Société du Grand Paris / Julie Bourges.

Depuis 2017, l’artiste Thierry Boutonnier cultive les arbres du Grand Paris Express entre art et savoir-faire arboricole. Une promenade au fil

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Depuis 2017, l’artiste Thierry Boutonnier cultive les arbres du Grand Paris Express entre art et savoir-faire arboricole. Une promenade au fil des gares, passées et à venir, d’Eole à Austerlitz.

Le Grand Paris en un souvenir ?

Avant Paris, il y a le trajet pour y aller, Albi-Paris, le train de nuit, les couchettes, l’excitation du premier voyage, quand on a 18 ans, que l’on a grandi dans un élevage laitier et que l’on aspire à travailler dans l’art. Mon premier souvenir, c’est l’arrivée à Austerlitz, le pont menant à la gare de Lyon et, enfin, la gare de Lyon. Par la suite, j’ai découvert d’autres lieux, d’autres recoins au bord du canal de l’Ourcq et du canal Saint-Martin, surprenants par cette présence de l’eau qui irrigue Paris, qu’elle soit visible ou invisible. Ce sont des moments de paysage urbain hétéroclites que j’apprécie, avec des lumières, des reflets et, bien sûr, des arbres même si je vous avoue que je cherche toujours un peu les arbres dans le Grand Paris…

Un jardin secret ?

Sans hésiter, la pépinière de Vive les Groues, un lieu qui me touche beaucoup, au pied des tours de La Défense. C’est un endroit à part dans le Grand Paris mais, en même temps, très accessible puisqu’il suffit de prendre le RER pour y arriver. Juste à côté, il y a une gare en cours de construction, la gare Eole (ndlr : la gare de Nanterre-La Folie, qui doit assurer le prolongement du RER E jusqu’à Mantes-La-Jolie, à l’horizon 2024). C’est un paysage urbain en pleine métamorphose, une bête urbaine qui gronde, avec nous au milieu qui, depuis 2017, y brassons la terre, y plantons des arbres pour essayer d’y créer un habitat plus organique, plus végétal et, ce faisant, y posons d’autres questions, celles de la qualité de l’air et du sol.

Un coup de gueule ?

Les trajectoires, les projets d’infrastructures absurdes. Il faut toujours rester vigilant face aux saccages. Les appels d’offres que je vois passer dans le cadre des Jeux olympiques de Paris 2024 me semblent effrayants par bien des aspects. Malgré leur prétention à faire dans le réversible et l’écologique, la rapidité des travaux amène nécessairement à faire les choses dans le désordre, en ne prenant pas en considération la maitrise d’usage. Je souhaiterais que l’on puisse discuter différemment pour accueillir au mieux ces visiteurs venus du monde entier, sans oublier les habitants, humains et non humains, qui peuplent ces territoires. Garder l’idée de l’hospitalité donc, mais sans forcément passer par la violence d’infrastructures grandiloquentes dépourvues de sens.

Un coup de cœur ?

L’urbanité d’une ville-monde, non pas triomphante mais ouverte, accueillante, hospitalière. Être urbain pour moi, c’est une valeur, une qualité. C’est essayer de comprendre et d’apprendre, d’établir des relations de bon voisinage avec des altérités que l’on n’aurait ni imaginées ni attendues. Être urbain, c’est la porte que l’on garde ouverte pour des inconnus. Aujourd’hui, tout l’enjeu est d’apprendre à être urbain avec les non humains, ces animaux et ces végétaux qui nous côtoient. Cela passe d’une part par une reconnaissance, d’autre part par une redistribution de l’autorité, partage nouveau auquel participent les artistes.

Un rêve ?

Plus d’arbres, moins de voitures ! Que l’indicateur de notre productivité provienne des arbres semés et plantés et non plus de la production d’automobiles. C’est un rêve réaliste car c’est le cours de l’histoire : qu’on le veuille ou non, un changement profond s’opère dans la fabrique de nos villes, à travers par exemple la mise en place de trames brunes, de sols vivants et perméables. Dans le Grand Paris ou ailleurs, nous tendons vers une manière de repenser la modernité à travers l’organicité du végétal.