Séoul, la métropole qui ne voulait plus grandir

Séoul, la métropole qui ne voulait plus grandir

Séoul, métropole qui compte parmi les plus puissantes au monde, entend désormais maintenir sa population autour de 10 millions d’habitants, quitte à s

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Séoul, métropole qui compte parmi les plus puissantes au monde, entend désormais maintenir sa population autour de 10 millions d’habitants, quitte à subir une décroissance démographique. Un choix qui est une énigme, vu de Paris, où l’on confond souvent attractivité renforcée et accroissement du nombre d’emplois et de logements.

Troisième aire urbaine mondiale par la taille (25 millions d’habitants), métropole très dense (17 000 habitants par kilomètre carré soit presque l’équivalent de Paris intramuros), offre de transports publics unique et PIB par habitant multiplié par… 300 en quatre décennies, la capitale sud-coréenne s’est propulsée en tête de nombreux classements internationaux, au même titre que ses prestigieuses voisines, Tokyo et Shanghai. Un développement à marche forcée. C’est la voie technologique, suivie jusqu’à l’outrance, qui l’a d’abord affirmée parmi les grandes villes industrielles ainsi que le développement de puissants conglomérats, les chaebols, comme Samsung, LG et Hyundai, qui ont construit aux abords de leurs sièges leurs propres quartiers d’habitation. À Séoul, la techno est omniprésente. Un fief lui a même été bâti, la Digital Media City, qui accueille depuis dix ans dans un quartier entièrement dédié et une architecture hyper moderne tous les leaders internationaux du numérique. Le terme souvent employé pour résumer ce dynamisme hors norme ? « Palli palli », vite, vite.

Trop vite ? Peut-être. Car, revers de la médaille, Séoul n’est pas, ou n’est plus, une ville douce et gracieuse, adaptée aux loisirs des happy fews ou à l’accueil des familles des cadres supérieurs itinérants. Dans ce domaine, la métropole passe largement sous les radars de Mercer ou Knight Frank, les cabinets qui comptent dans ce domaine.

La qualité de vie plutôt que la croissance

 D’où un changement de paradigme désormais affiché avec force : ces dernières années, Séoul a progressivement privilégié la qualité de vie sur la seule croissance. Les documents officiels traduisent ainsi un changement complet de priorités qui a commencé à se dessiner dès l’instauration du premier pouvoir démocratique en 1988, année également marquée à Séoul par l’organisation des Jeux Olympiques qui ont conduit à reconfigurer de larges quartiers de la ville et participé à son ouverture internationale.

Progressivement, les pouvoirs publics ont tiré les leçons d’un développement par trop échevelé… La Capitale s’est desserrée au profit de ses voisines, Incheon et Suwon, sans étalement urbain, une ceinture verte (green belt) parmi les plus anciennes et efficaces au monde protégeant les forêts, parcs et collines proches. En centre-ville, deux actions très spectaculaires ont marqué ce changement de logiciel : la redécouverte en 2005 d’une rivière précédemment transformée en autoroute et la transformation en 2014 d’une voie rapide sur pilotis en jardins suspendus ! Un peu comme si notre périphérique disparaissait sous les plantations. Pour manifester son goût nouveau pour les loisirs, Séoul a commencé à sacrifier aux codes internationaux avec le futuriste complexe, le Dongdaemun Design Plaza de Zaha Hadid. En 2017, la ville a également érigé grâce au conglomérat Lotte une tour de 555 mètres de haut dont les cinq étages supérieurs sont réservés aux touristes. Cela ferait rêver les usagers de La Défense, lesquels bénéficient d’un unique rooftop à ce jour, le toit de l’Arche plafonné à 110 mètres de haut et engoncé dans le bâtiment.

Un revirement à la fois spectaculaire et indispensable tant l’intégration dans la globalisation et l’effort collectif avaient impliqué le sacrifice de générations entières au nom de la reconstruction d’une capitale à vocation mondiale.

La métropole devenue attentive

L’entrée dans la globalisation s’étant accompagnée d’une réelle ouverture au monde, Séoul compte désormais plus d’un million de migrants, majoritairement chinois, alors qu’on n’en dénombrait que quelques milliers en 1960. Il ne s’agit pas seulement de keyworkers, ces intervenants essentiels à la mondialisation, mais plus prosaïquement de travailleurs à bas coût qui viennent suppléer les Coréens dans tous les métiers modestes et mal payés dont ces derniers ne veulent plus.

Différents quartiers de Séoul sont désormais des ports d’attache typés par nationalité. Le frottement rugueux du nationalisme à la globalisation s’observe de multiples manières : ainsi, les rez-de-chaussée commerciaux sont réquisitionnés par les grandes enseignes internationales aux produits identiques à ceux présentés dans les autres métropoles mondiales alors que les commerces plus traditionnels sont souvent confinés dans les sous-sols.

D’autres pathologies urbaines sont nées de la croissance et du « palli palli » : les Séoulites forment aujourd’hui une société éclatée composée notamment de personnes âgées isolées tandis que leurs enfants sont focalisés sur leur propre réussite. Le mode de vie occidental a pris le pas sur la tradition d’entraide et la famille. À Séoul, on ne croise pratiquement que des personnes seules, peu de couples, peu d’enfants. Le taux de suicide est très élevé et le taux de natalité parmi les plus faibles au monde.

Ces dernières années, le gouvernement métropolitain s’est donc saisi à bras le corps de ces problèmes cruciaux. Services à la population et concertation sont devenus des mantras qui font désormais de la Capitale une des métropoles les plus attentives au monde. Le panel très large de compétences dévolues à la métropole, l’assise démocratique de son exécutif et le volontarisme exceptionnel des Coréens laissent augurer de nouvelles mutations dans les prochaines années. Séoul est un laboratoire à ciel ouvert, caractérisé par des choix très marqués et toujours suivis de réalisations. Et c’est déjà en soi un enseignement !

Une marche en avant née de l’Histoire

De 1910 à 1945, Séoul a été occupée par le Japon et savamment dénaturée puis quasi totalement détruite quelques années après, au cours de la guerre de Corée. La ville a ensuite connu un long armistice mais jamais vraiment la paix avec sa sœur du nord et vit, depuis 1953, sous la menace de missiles nucléaires positionnés à quelques dizaines de kilomètres. Enfin, Séoul est marquée par une géographie inouïe de micro-péninsule insérée entre deux grands empires, le Japon et la Chine,

Difficile de se libérer d’un tel contexte. En témoignent les grandes manifestations l’an passé au cours desquelles les passants devaient fouler aux pieds des affiches de Donald Trump suite à ses blagues douteuses sur Kim Jong-Un, le leader nord-coréen assimilé à Roquet man. On sait en Corée que tout incident peut dégénérer et la DMZ (demilitarized zone) n’est située qu’à 50 kilomètres du centre de Séoul.

Héritier de cette histoire douloureuse et soucieux de rebâtir une capitale ambitieuse pour son pays, le pouvoir autoritaire, en place jusqu’en 1989, a manifesté un volontarisme d’État exacerbé. La reconstruction de Séoul s’est donc opérée à marche forcée, durant trois décennies, à une époque de forte industrialisation, dans un pays qui ne voulait pas disparaître. Il a été marqué, comme la France, par les grandes idées corbuséennes faites de zoning fonctionnel et de construction industrielle standardisée. Séoul a ainsi connu un développement sans équivalent dans le monde à l’aide d’une organisation métropolitaine puissante, le Seoul Metropolitan Government, qui fut longtemps le bras armé de l’État.