Rencontre avec Nicolas Sarkozy

Rencontre avec Nicolas Sarkozy

« Il fallait d'abord que ce soit le Grand Paris des projets. Pas d'un, mais de 100 projets »

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« Il fallait d’abord que ce soit le Grand Paris des projets. Pas d’un, mais de 100 projets »

C’est Nicolas Sarkozy qui, à peine élu Président de la République en 2007, a lancé le « Grand Paris » en nommant un secrétaire d’État, Christian Blanc, en charge de ce projet. Dix ans plus tard, dans une interview publiée conjointement dans Objectif Grand Paris et le quotidien L’Opinion, l’ancien chef d’état raconte pour la première fois comment il a eu l’idée de lancer ce vaste chantier et quelle est la vision qui l’anime depuis toujours pour faire de Paris une « ville monde ».

Bâtir un chantier structurant, tellement vaste qu’il traversera plusieurs quinquennats, reliera à terme Paris à son port naturel – Le Havre – mais qui permette aussi de remettre en valeur « un mot qui a disparu du langage politique, la beauté »,… autant de raisons qui conduisent Nicolas Sarkozy à réclamer que l’ensemble des chantiers du Grand Paris et de son réseau de transport soient menés à terme, sans délais.

Il prévient aussi : un chantier aussi vaste ne peut être placé que sous la direction de l’État. La question de la gestion politique du Grand Paris ne doit se poser qu’une fois que ce dernier sera devenu une réalité, c’est-à-dire dans dix ans, au moins.

Propos recueillis par Nicolas Beytout, Cyrille Lachevre et Ludovic Vigogne (L’Opinion)

Pourquoi avez-vous eu l’idée de lancer le Grand Paris ?

Tout d’abord parce que j’étais consterné de voir que depuis Paul Delouvrier, c’est-à-dire depuis les années 1960, il n’y avait eu aucun chantier véritablement structurant dans la région parisienne. Quelques constructions comme la Tour Montparnasse ou La Défense étaient de beaux projets mais pas des opérations structurantes proprement dites. Or, Paris est avec Londres la seule « ville monde » du continent européen qui abrite 500 millions d’habitants. Grâce à Paris, la France dispose d’un atout fantastique, ce qui n’est pas le cas de tous les pays : la première économie européenne, l’Allemagne, n’a pas de « ville monde ». Dans ce contexte, l’absence de chantier structurant était pour moi le signe d’un déclin. Toute ma vie j’ai voyagé. Je n’ai jamais accepté ce qui m’apparaissait comme une triste réalité : lorsque je me rendais dans les capitales étrangères, je voyais partout des grues, des chantiers, des travaux et lorsque je rentrais en France, je ne voyais plus rien. Le choc est venu de là ! Quand un pays bâtit et entreprend, il est en « renaissance ». Quand il ne construit plus, il est en déclin. C’est comme cela qu’il faut comprendre le Grand Paris.

Qu’est-ce qu’une « ville monde » selon vous ?

C’est une ville où l’on assiste à une rencontre unique entre l’économie, l’histoire, la culture et la mythologie. Dans l’expression « ville monde », il y a une dimension mystique, mythologique qui fait son supplément d’âme. Si on oublie cela, on tue le concept. Justement, la deuxième chose m’ayant conduit à vouloir le Grand Paris – et qui est fondamentale à mes yeux –, c’est que quand on pense à la ville, on pense toujours à la technique, aux considérations budgétaires, aux institutions mais on ne pense que trop rarement à l’architecture, à la qualité de vie ainsi qu’à un mot auquel j’attache une grande importance et qui est sorti du vocabulaire politique : la beauté. Cela a énormément compté dans ma volonté de faire le Grand Paris. Ce n’est pas parce que la beauté est subjective qu’on ne doit pas en parler. Or par une invraisemblable inversion, au prétexte que chacun a sa propre conception de la beauté, on a sorti la beauté du débat politique. La France, qui compte parmi les plus grands architectes du monde et qui a une histoire extraordinaire avec l’architecture, était devenue absente dans cet art majeur qui traverse les siècles. Les grands architectes français s’étaient mis à faire leurs plus grandes réalisations en dehors de France. Cela non plus je ne l’acceptais pas !

Comment avez-vous conçu la structure de ce Grand Paris ?

Il fallait d’abord que ce soit le Grand Paris des projets. Pas d’un, mais de 100 projets. L’idée était de créer une dynamique qui devait faire fleurir des dizaines de projets ensuite. Autour de cette volonté architecturale majeure, qui était en quelque sorte la holding de tête, deux dimensions se sont dessinées. La première, c’est que ce Grand Paris devait clairement s’organiser autour d’un axe majeur, la Seine. Dans tous les projets architecturaux, la Seine est centrale et je n’ai jamais imaginé le Grand Paris aux limites de l’Ile-de-France. Regardez le blason de la ville, on y voit un bateau qui nous rappelle que Paris a un port, Le Havre. Si vous coupez Paris de cette dimension maritime, vous coupez la ville de son poumon économique. Notre « ville monde » commence au Havre à partir d’où elle peut rayonner au sud, au nord et à l’est de l’Europe. Les projets que nous concevions devaient se nourrir de cette vision. Je voulais par exemple créer une vallée de la culture où, par bateau sur la Seine, on pourrait rejoindre tous les grands musées parisiens, le Louvre, le musée d’Orsay, le Palais de Tokyo puis continuer plus bas. Une formidable idée pour attirer des touristes.

Quelle était la seconde dimension de ce projet ?

Bâtir un grand réseau de transport. Ce réseau de transport devait être à la fois consubstantiel et différent du Grand Paris. C’est comme le système sanguin d’un individu. Les veines qui transportent le sang permettent au corps de vivre mais ce n’est pas le sang qui fait le cerveau, l’âme, le cœur. Il l’irrigue. Ce réseau de transport, de 180 kilomètres de long, a suscité beaucoup de doutes et de critiques au début. À l’époque, j’avais fait scandale en disant qu’il devait être équipé d’un métro automatique fonctionnant la nuit. C’est pourtant indispensable. Le Grand Paris vit aussi la nuit, une « ville monde » ne s’arrête jamais. Aujourd’hui, la construction de ce réseau de transport est en bonne voie et c’est l’essentiel. Car il y a autre chose d’absolument fondamental au plan économique : contrairement à ce que disent « les comptables » – au sens restrictif du terme –, quand vous créez un TGV, une ligne de bus, une ligne de métro, un tramway, vous créez de la richesse. À la minute où vous ouvrez une nouvelle ligne de transport, dans un périmètre de 400 à 500 mètres autour de chaque nouvelle gare, vous voyez la valeur de l’immobilier augmenter, ce qui permet, en la taxant, de refinancer les investissements. À cet égard, la pire chose pour la France serait d’arrêter le plan d’investissement que j’ai engagé pendant la crise.

Quel bilan faites-vous de ce projet aujourd’hui ?

Quand je l’ai lancé, j’avais dit que le Grand Paris n’était pas de droite, n’était pas de gauche, que ce ne serait pas l’affaire d’un quinquennat mais de plusieurs. Je suis très heureux et fier que le mot, le concept de Grand Paris n’aient pas pu être arrêtés. Même François Hollande qui voulait arrêter à tout prix tout ce qui portait ma marque n’a pas pu le faire devant l’immensité et la force du projet. Aujourd’hui, je suis très heureux que le président Emmanuel Macron en assure la pérennité…. 

Découvrez la totalité de cet entretien dans le numéro 20 de Objectif Grand Paris à paraître le 06 décembre 2017