Regard persan sur le Grand Paris

Regard persan sur le Grand Paris

En 1985, Abnousse Shalmani et sa famille fuient l’Iran. D’une naissance iranienne à la vie parisienne, itinéraire d’une écrivaine à l’œuvre marquée pa

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En 1985, Abnousse Shalmani et sa famille fuient l’Iran. D’une naissance iranienne à la vie parisienne, itinéraire d’une écrivaine à l’œuvre marquée par le siècle des Lumières… et l’amour de Paris.

Le Grand Paris… en un souvenir ?

Mon premier souvenir parisien, c’est le Génie de la Bastille, ce petit génie ailé qui vole au sommet de la Colonne de Juillet. J’avais 8 ans, j’arrivais d’Iran et, à peine descendus de l’avion, nous sommes passés par la Bastille. Je me souviens avoir immédiatement demandé à mon père ce que cette statue représentait : lui m’a répondu qu’elle fêtait une révolution et cela m’a fait très peur ! Pour moi, révolution, c’était forcément la révolution islamique, c’était synonyme de Khomeiny ! Alors mon père m’a expliqué que je n’avais pas à avoir peur, que cette révolution-là avait à peu près réussi. Mon histoire d’amour pour Paris a donc commencé ici et s’est poursuivie rue de la Roquette : toute mon enfance, j’ai joué dans un petit square, sur les cinq dalles qui portaient la guillotine. C’est, je crois, ce qui a attisé mon intérêt pour l’histoire, la Révolution, le XVIIIe siècle. Plus tard, la promenade m’a menée jusqu’au cimetière du Père-Lachaise : c’est en apprenant qu’il s’agissait du premier cimetière où athées et comédiens pouvaient être enterrés que j’ai compris que j’allais aimer vivre en France !

Un coup de cœur pour le Grand Paris ?

Paris, le Grand Paris, c’est de l’histoire vivante : quand je me promène dans les jardins du Palais Royal, je retourne à l’époque du Régent, à la naissance du siècle libertin. Sous les arcades, on trouve plutôt des boutiques de fringues et les libraires ne vendent plus de littérature érotique, mais l’écrin reste, préservé, sans pour autant s’être muséifié. Beaucoup disent que Paris est une ville-musée, mais ce n’est pas mon avis : derrière le Palais Royal, il y a maintenant un quartier japonais et coréen, avec des cantines comme à Tokyo. Le fait même que ce quartier existe, se développe, prouve que Paris constitue un mélange de culture et de chair toujours actif.

Le Grand Paris… en un coup de gueule ?

Ce qui m’a toujours troublée, ce sont les frontières invisibles qui peuvent exister entre les quartiers. Ce n’est pas le cas partout, ainsi, le 11e arrondissement, où je vis actuellement, est relativement homogène, mais beaucoup, comme par exemple le 18e, ont une géographie sociale très marquée. De Montmartre à Barbès, on passe d’un environnement à un autre en une rue, rue que la plupart du temps les gens n’osent pas traverser. C’est dommage, il faudrait davantage de mixité, que les gens comprennent qu’hormis au regard du compte en banque, ils ne sont pas si différents… C’est particulièrement sensible, je trouve, dès que l’on passe le périph’ : lorsque j’avais 9 ans, le petit ami de ma tante habitait Savigny-le-Temple, il y était prof de maths. Nous étions en 1986, c’était la pleine époque de SOS Racisme, du mouvement Touche pas à mon pote, mais j’avais déjà l’impression, lorsque ma tante m’y emmenait, qu’il y vivait des gens en colère. Les immeubles m’y paraissaient très hauts, dans des quartiers avec moins de ciel, moins de lumière, sans vie car avec très peu de petits commerces au pied des habitations… Depuis, cela n’a fait que s’accentuer, ces périphéries se retrouvent face à un double problème : lorsque l’on rassemble des gens de même nationalité au même endroit, d’abord il n’y a pas de mélange, ensuite, les gens n’habitent ni en France ni à Paris, ils habitent en banlieue. Quelqu’un m’a un jour dit que la banlieue ce n’était ni la ville, ni la campagne, c’était la merde : qu’est-il possible de projeter dans cette merde-là ?

Un jardin secret dans le Grand Paris ?

J’aime par exemple le parc de Bagatelle qui, à l’extérieur de Paris, fait partie des endroits où je vais régulièrement. En semaine, le jardin est vide, la roseraie déserte et il suffit d’éteindre son portable pour se retrouver assis, tranquille, à lire sous le feuillage d’un Désespoir des singes, avec la Capitale à deux pas. C’est un jardin très calme, mais qui reste typiquement parisien, une petite folie construite par le comte d’Artois, avant la Révolution. Dans les lieux que j’aime, il y a toujours ce rapport avec l’histoire ou la littérature : j’affectionne ainsi par-dessus tout la place Louis-Aragon, une petite place en surplomb sur la Seine, à la pointe de l’île Saint-Louis. Elle se situe sous les fenêtres d’Aurélien, le héros du roman d’Aragon. Lorsque je passe sous l’appartement d’Aurélien, je pense toujours à une phrase de ce livre, qui m’avait beaucoup marquée : « Tous les deux pensèrent à la Seine. À cette fatalité le long de leur histoire. » Finalement, tous les couples, à Paris, peuvent un jour se dire cela : il me suffit donc de m’asseoir, le regard posé sur l’eau, avec dans les mains un cornet melon et chocolat amer acheté chez Bertillon pour que la vie retrouve meilleur goût.

Un rêve pour le Grand Paris ?

Paris, quoi qu’on en dise, a toujours tenu ses promesses : tout le monde y a son histoire, il faudrait arriver à être tous égaux, à réussir ce Paris fantasmé dès le XVIIIe siècle, à l’époque de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Il faut décloisonner les classes sociales, que le Grand Paris soit aussi celui du Grand Décloisonnement.

Crédits photo : JF PAGA/Grasset 2014.