Qualité de vie, qualité de ville

Qualité de vie, qualité de ville

Depuis mars 2020, l’avènement d’une nouvelle ville, parfois baptisée « ville post-Covid », est l’objet de tous les débats. Densité, mobilité

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Depuis mars 2020, l’avènement d’une nouvelle ville, parfois baptisée « ville post-Covid », est l’objet de tous les débats. Densité, mobilité, consommation, initiatives citoyennes, etc. Plus que jamais, les certitudes anciennes sont remises en question.

Comment, demain, vivre ensemble, se déplacer, organiser le quotidien dans une ville sommée de s’adapter au risque sanitaire ? Les mutations à venir font l’objet de réflexions. En témoigne l’Institut Paris Region qui, pendant et après le confinement, a produit une série d’études sur « la ville de demain ». Quel urbanisme pour la ville post-Covid ? Le départ de Parisiens quittant leur résidence principale pour un logement à la campagne a fait grand bruit. Ce phénomène a exacerbé les aspirations des Franciliens à vivre dans un logement avec balcon, jardin, terrasse, bref à avoir leur petit coin de nature. Pierre-Marie Tricaud, architecte-paysagiste à l’Institut Paris Region, indique dans sa chronique intitulée Quelles formes urbaines dans le monde d’après que les cités-jardins « ont réussi à combiner une densité significative avec une présence de nature importante et des espaces extérieurs assurant une certaine intimité ». Reviendra-t-on à ce modèle né des politiques hygiénistes du début du XX siècle ? Pierre-Marie Tricaud renvoie aussi au « béguinage », des habitations regroupées autour d’une cour ou d’un jardin « dont la gestion et l’usage ne sont ni individuels ni publics » et qui « optimisent l’utilisation des espaces de nature urbains ».

Une densité toute relative

La ville post-Covid signe-t-elle donc la fin de la densité, beaucoup questionnée durant le confinement ? Les candidats aux Municipales, qui promettaient de redonner à leur ville des allures de « village » ou de « commune à taille humaine »,passaient déjà sous silence la question de la densité. Elle pourrait désormais disparaître du vocabulaire des élus. Paul Lecroart, urbaniste à l’Institut Paris Region, redouble de prudence : « J’ai toujours été réticent face aux discours sur la “densité heureuse”. Le raisonnement est plus complexe. On a surtout besoin de qualité urbaine pour tous et cette dernière repose sur de nombreux critères », souligne-t-il. De son côté, l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) indique dans son étude datant de 2003, intitulée Densités vécues et formes urbaines, étude de quatre quartiers parisiens, que « la forme du tissu urbain » peut être la source du rejet et la densité « synonyme de richesse, de diversité, d’animation et de possibilité d’échanges ». L’Apur précise que les quartiers de grands ensembles construits dans les années 1960-1970 « sont souvent bien moins denses que les quartiers centraux des grandes villes dont le cadre de vie est pourtant apprécié ».

Au vu de ces nouvelles aspirations, les petites villes situées en dehors des métropoles pourraient tirer leur épingle du jeu. « Les lotissements en périphérie commençaient à baisser en valeur. Aujourd’hui, on assiste à l’effet inverse. En revanche, le prix de l’essence, lui, ne devrait pas baisser. Plus de dépendance à la voiture, c’est une plus grande vulnérabilité pour les individus… et la planète », poursuit Paul Lecroart. D’une manière générale, la ville post-Covid appelle à faire plus de place aux mobilités « douces » et moins à la voiture. Il n’y a qu’à voir le nombre de pistes cyclables éphémères (266 km en juin) ou permanentes qui se sont développées pendant et après le confinement pour encourager les usagers à se déplacer à vélo, trottinette, etc. Mais, attention à l’effet de mode : d’après Paul Lecroart, « d’ici deux ans, la part modale du vélo pourrait se rapprocher des 10 % à Paris (et dans certai-
nes métropoles régionales) ». En bref, malgré sa progression, le vélo reste encore marginal comparé à la marche et à la voiture, encore très utilisée. En juillet, le niveau de pollution dans l’air était quasiment revenu à celui d’avant la crise sanitaire, d’après l’urbaniste.

Toujours trop de voitures

La solution pour améliorer les conditions de circulation et de qualité de l’air au sein de la ville post-Covid : établir une zone à trafic automobile limité, aussi connue sous le nom de Zone à faibles émissions (ZFE). Mais sa mise en place en juillet 2019 traîne, bien que déjà discutée et votée au sein de la Métropole du Grand Paris. « On ne peut pas faire l’économie d’un débat là-dessus. Sur 79 communes concernées, seulement une cin- quantaine ont délibéré », précise Paul Lecroart. Autre problème que la ville doit affronter : la logistique. Bon nombre de Franciliens se font livrer des colis, et si possible en express. La crise sanitaire a-t-elle modifié les habitudes de consommation ? La réponse est mi-figue mi-raisin. Car, si d’un côté bon nombre de voix s’élèvent contre la société de l’ultra- consommation et appellent à réduire ses déchets, d’autres ne s’en préoccupent guère. Le groupe Fnac a vu ses ventes en ligne augmenter de 60 % les six premiers mois de 2020. Après le déconfinement, les ventes en ligne ont continué à progresser, d’après la direction. « La croissance des livraisons liées au e-commerce est une menace pour la qualité de vie de nos métropoles. Déjà des rues entières ne fonctionnent plus correctement à Paris », déplore Paul Lecroart. Que faire pour limiter le volume de camions quotidien ? Taxer le e-commerce ? Instaurer un péage urbain ? Imposer le retrait de colis dans un lieu unique comme le suggère le Conseil national des centres commerciaux qui voit là l’occasion de booster la fréquentation de ses établissements ?

Urbanisme tactique

Au total, les propositions pour construire la ville post-Covid ne manquent pas. Aujourd’hui visible davantage par les masques, les bornes de gel hydro-alcoolique sur l’espace public ou encore les marquages au sol pour organiser la distanciation physique, la ville post-Covid verra-t-elle bientôt le jour ? Car si le temps de l’aménagement est long, celui des réformes, notamment en termes de droit de l’urbanisme, l’est plus encore. Lorsque les élus traînent, ce sont les citoyens qui tentent d’agir, rapidement et à petit budget. C’est ce que l’on appelle l’urbanisme tactique. Réquisitionner des places de stationnement pour les transformer en espaces de convivialité, artistiques ou en espaces verts est l’un des symboles de cette nouvelle façon de faire la ville. La ville post-Covid sera peut-être tactique, ou ne sera pas.

© Thomas Deluze