Patrimoine : ayons la mémoire longue

Patrimoine : ayons la mémoire longue

© Hannah Reding La tribune de Christine Leconte, présidente du Conseil régional de l'Ordre des architectes d'Île-de-France L'émotion suscitée par l'

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© Hannah Reding

La tribune de Christine Leconte, présidente du Conseil régional de l’Ordre des architectes d’Île-de-France

L’émotion suscitée par l’incendie de Notre-Dame a tragiquement rappelé l’importance du patrimoine dans notre histoire collective. Aujourd’hui, il y a urgence à repenser la politique patrimoniale de la France, et à la décloisonner. Urgence également à repenser des choix politiques en matière d’aménagement urbain qui ont eu des conséquences désastreuses sur le bâti existant. 

Dans les heures qui ont suivi l’incendie de la cathédrale de Paris, le Président de la République a affirmé : « Notre-Dame sera reconstruite. » L’État a immédiatement décrété la mobilisation générale pour conduire cette reconstruction. Des délais ont été annoncés, sans connaître le diagnostic du sinistre, ni même les mesures conservatoires à mettre en œuvre. À peine les flammes éteintes, de nombreux acteurs privés et des citoyens se mobilisaient. Et plus d’un milliard d’euros de dons a été collecté en quelques jours.

Dans le même temps, dans l’ombre de cette union sacrée, des milliers de bâtiments dépérissent dans l’indifférence quasi-générale aux quatre coins de la France. Le budget annuel alloué par l’État au patrimoine – environ 300 millions d’euros – semble ridiculement bas. Le Loto du patrimoine, initiative bienvenue, permet d’ajouter quelques dizaines de millions d’euros. Ils sont malheureusement insuffisants pour inverser la tendance. Cette situation souligne le déficit d’engagement et de transversalité de l’État sur la question.

Il y a urgence à repenser la politique patrimoniale de la France. Les choix politiques en matière d’aménagement urbain de ces dernières années ont des conséquences désastreuses sur le bâti existant. L’étalement urbain, avec son cortège de lotissements et de centres commerciaux, vide les centres-villes de leurs logements, de leurs commerces, de leurs habitants. Faut d’être habité et entretenu, le patrimoine de nos villes moyennes, de nos villages se dégrade et menace d’être démoli. Depuis 2018, la loi ELAN fait peser une lourde menace sur ces bâtiments : ne requérant plus qu’un simple « avis de l’ABF » quand le chantier concerne un immeuble d’habitation jugé insalubre ou menaçant ruine…

Le patrimoine du XXe siècle est lui aussi vulnérable

Méconnu du grand public et peu protégé au titre des Monuments historiques, le patrimoine du XXe siècle est également vulnérable. Face aux puissantes logiques spéculatives, il apparaît souvent comme un obstacle à d’autres opérations plus lucratives. Les ensembles de logements sociaux sont souvent visés. Cette situation est malheureusement renforcée par les mécanismes de l’ANRU, trop souvent déconnectés, court-termistes et procéduriers. Ainsi, malgré sa qualité architecturale, paysagère et urbaine reconnue dans le monde entier, la Cité-jardin de la Butte-Rouge à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) subit aujourd’hui l’épée de Damoclès de la destruction : la logique comptable précède le projet de vie du quartier. Combien d’autres bâtiments patrimoniaux moins connus sont dans ce cas ?

À l’heure où la crise écologique impose la frugalité dans l’usage des ressources, on ne peut accepter ce gaspillage de ressources et d’argent. À Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), les élus, mobilisés, n’ont pas pu préserver la Cité Gagarine de la destruction, avec à la clé plusieurs milliers de tonnes de déchets : ont-ils pu aller jusqu’au bout de leur volonté ou proposer un modèle économique adapté ? Sans compter la mutilation pour la société d’une partie de son histoire et de sa mémoire collective. À Pantin, Ivry, Nanterre, Grigny, des ensembles de logements appartiennent à l’histoire urbaine et sociale de la France. Malgré les difficultés, plusieurs générations témoignent du bonheur qu’elles ont eu à y vivre.

Nous oublions de regarder ce qui disparaît avec ces bâtiments. Nombre de ces constructions possèdent pourtant une qualité d’habitat notable, à bien des égards supérieure aux constructions récentes. Des atouts qui semblent aujourd’hui exceptionnels, entre espaces communs de qualité – cages d’escalier à éclairage naturel, halls vastes et lumineux, hauteur sous plafond correcte à chaque étage, logements traversants ou à double orientation… – et espaces publics remarquables : cheminements piétons, crèches, aires de jeu, commerces, écoles… Des rénovations exemplaires, comme la Faisanderie à Fontainebleau (Seine-et- Marne) ou la Cité du Lignon à Genève, permettent d’en souligner tout le potentiel. Le PUCA (plan urbanisme construction architecture) – outil de prospective porté par l’État – devrait, avec REHA – un programme expérimental de réhabilitation ambitieux – pouvoir proposer des modifications des modes opératoires plus traditionnels. Pour mettre l’expérimentation et les solutions éprouvées au service des territoires. Et faire passer l’objectif avant la norme.

La réparation des villes, voie d’une politique d’aménagement contemporaine

Ces qualités urbaines et spatiales sont également un socle fertile pour l’habitat et la ville de demain. Elles sont un formidable levier de résilience au niveau des territoires. Elles ont beaucoup à nous apprendre en termes de « vivre-ensemble » et de partage des usages, items que l’on retrouve derrière les nouveaux « écoquartiers ».

La réparation des villes est la voie d’une politique d’aménagement résolument contemporaine, voire avant-gardiste. L’État et les élus locaux doivent accompagner la rénovation de ce patrimoine collectif dans le respect de ce qu’il est et représente. Ce patrimoine est vivant et nous ne pouvons le sacrifier au détriment des habitants et de la qualité des espaces. Son devenir mérite du temps, des réflexions, des débats…

Le temps de la ville transcende les générations, les coups de communication, les élections et les logiques de marché. Les villes sont de magnifiques palimpsestes, produits de siècles de rêves, d’actions et d’échanges humains. Elles ont beaucoup à nous enseigner. En matière de ville, affirmons avec Nietzsche que « l’homme de l’avenir est celui qui aura la mémoire la plus longue ». À nous d’avoir la mémoire longue.

 

Christine Leconte

Christine Leconte, présidente du Conseil régional de l’Ordre des architectes d’Île-de-France  – © Conseil national de l’Ordre des Architectes