Dans les années 1980, la mégalopole était la plus peuplée au monde mais aussi le symbole des villes géantes au bord de l’asphyxie. Comment l
Dans les années 1980, la mégalopole était la plus peuplée au monde mais aussi le symbole des villes géantes au bord de l’asphyxie. Comment la cité a-t-elle retrouvé la maîtrise de son destin en moins de trois décennies ?
Certains problèmes de Mexico remontent à sa fondation. Quand Cortès conquit Tenochtitlan, en 1521, c’était en bateau car la capitale aztèque était bâtie sur une île du lac Texcoco, simplement reliée à la rive par une digue. Un vaste réseau de canaux alimentait ce grand lac depuis la fondation de la ville, deux siècles auparavant. Les Espagnols ont asséché les lacs et désorganisé l’équilibre hydrologique de toute la vallée avant de reconstruire sur les ruines. Aujourd’hui, les noms de canaux sont devenus des noms de rue et Mexico souffre toujours de graves pénuries d’eau, d’autant que la population a connu une croissance exponentielle. L’eau des montagnes est mélangée aux eaux usées dans les mêmes canaux et rendue en grande partie inutilisable. Dans les années à venir, de nouveaux canaux seront creusés jusqu’au cœur des montagnes entourant cette grande cuvette située à plus de 2 200 mètres d’altitude. Mais ces montagnes ont été largement déboisées par les colons pour lutter contre les inondations. Résultat, les eaux comme les terres ont été emportées. Aujourd’hui encore, la crainte des effondrements et des coulées de boue conduit à évacuer les eaux d’orages et non à les stocker dans des bassins de rétention. Par ailleurs, le pompage massif dans les nappes phréatiques a affaissé le niveau moyen des sols de 10 mètres depuis les années 1930. Enfin, la présence d’eau sous la ville renforce le risque sismique lié aux proches volcans par effet de résonance. Cela interdit d’édifier en hauteur et a conduit à un étalement urbain sur plusieurs milliers de kilomètres carrés.
De l’ambition internationale à la gestion locale
Le Mexique, indépendant depuis 1821, s’est constitué en État fédéral mais n’a eu de cesse de conforter une capitale à vocation internationale qui a capté les grands investissements mais a subi une gouvernance très distante des préoccupations locales. Cela a permis à la mégalopole d’atteindre 40 % du PIB national à son apogée, de concentrer puissances politique et financière, et de devenir un temps la cité la plus peuplée au monde. Sans le soutien de l’État et de ses infrastructures, Mexico, qui comptait 350 000 habitants au début du siècle dernier, n’aurait pas atteint 13 millions d’habitants dès 1980 et 22 millions en 2019. La région urbaine a été organisée sous une forme rayonnante qui fait de Mexico le cœur d’un vaste réseau de villes secondaires. La Capitale s’est étalée à l’extérieur du district fédéral pour constituer une zone métropolitaine de 8 000 kilomètres carrés sur 60 municipalités, débordant même sur les États voisins de la région Centre. Mais cette croissance débridée a finalement connu un tassement du fait d’un moindre potentiel de populations rurales à accueillir, du renforcement de l’économie des villes frontalières mais aussi de la décentralisation qui a permis de mieux prendre en compte les dégâts d’une urbanisation incontrôlée et d’une auto-construction massive. Il était temps, car la ville comptait 70 % de constructions informelles et le plus grand bidonville du monde, portant le nom d’un seigneur ayant régné sur la ville aztèque, Netzahualcóyotl. Les autorités avaient perdu toute maîtrise de la situation et la mégalopole était devenue une des plus polluées et criminogènes au monde. En 1997, le district fédéral, placé jusque-là sous tutelle directe du président de la République, a fait l’objet de l’élection d’un exécutif local, modifiant profondément l’ordre des priorités. L’ONU avait désigné Mexico en 1992 comme la ville la plus polluée au monde. Elle était affublée des surnoms les plus dégradants : « monstruopole », « smogopole », « narco city », « fille de l’Apocalypse ». Depuis cette époque, pourtant, la ville a multiplié par dix le nombre de jours où l’air est respirable et s’est quasiment hissée au rang des villes occidentales pour le niveau de pollution atmosphérique avec un volume de particules fines très inférieur à celui que connaissent Pékin, Shanghai ou Lima, et du niveau de Tokyo et Paris selon l’OMS. La soutenabilité, sans être satisfaisante, rejoint le niveau moyen de villes comme Shanghai, Sao Paulo ou Istanbul. La sécurité y demeure fragile et bien meilleure qu’au Caire, à Bangkok ou Lagos, une ville considérée comme très dangereuse. L’eau demeure le point névralgique, répertorié comme tel par Arcadis dans son classement international des villes durables, et en fait une des villes les plus exposées à un risque de stress hydrique dans le monde. Outre les difficultés d’approvisionnement, l’absence de véritable traitement des eaux usées, conséquence logique de l’auto-construction dominante, en fait un cas presque unique. La gestion du cycle de l’eau nécessitera dans les prochaines années des investissements colossaux. La création de nouveaux canaux pour acheminer l’eau, la réouverture à l’air libre de rivières souterraines et le traitement des eaux usées sont des priorités majeures des prochaines années, tout comme la création de nouvelles centrales à déchets et l’apprentissage du tri sélectif.
Maintenir une riche biodiversité
Depuis 2013, la métropole de Mexico a adhéré au programme international Resilient Cities pour faire face aux multiples risques encourus par la mégalopole. De multiples projets ont été engagés simultanément pour maîtriser le développement, améliorer la qualité de vie et lutter contre le réchauffement climatique. La métropole va également tenter de protéger de façon plus drastique un patrimoine végétal exceptionnel qui permet le maintien d’une très riche biodiversité, du fait du relief, de l’eau et de l’activité volcanique. L’urbanisation tous azimuts n’a pas encore abîmé l’environnement irrémédiablement malgré le contournement assez systématique des règles durant des décennies. Engagement a été pris d’y remédier. La décentralisation et la sensibilité plus grande de la population y concourent. La réduction de la production de gaz à effet de serre est déjà engagée : moins 10 % depuis cinq ans, moins 20 % programmés dans les cinq prochaines années. L’air, confiné par les montagnes avoisinantes et souillé par la présence de cinq millions de véhicules très polluants, fait l’objet de multiples traitements. Parmi eux, la délocalisation d’activités industrielles, la réalisation de pistes cyclables, le recours à des bus hybrides, la circulation alternée, l’instauration d’un système de vélos partagés. Les transports représentent en effet à eux seuls près de la moitié des gaz à effet de serre de Mexico, ville vibrionnante. De même, des arbres sont massivement plantés pour retenir la fraîcheur et limiter l’effet de serre.
Une ville géante mais peu internationale
Mais la mégalopole devra enfin faire appliquer des règles d’urbanisme pour éviter la constitution d’un immense continuum urbain avec les villes voisines, Puebla, Toluca et Cuernavaca. Sinon, c’est une mégalopole de cinq millions d’habitants supplémentaires qui émergera malgré la stabilisation de la population au sein de Mexico, accroissant l’échelle des problèmes. La coordination au sein de la grande région est le premier des objectifs de résilience de la mégalopole. Le gigantisme est un fléau à gérer à la bonne échelle, c’est-à-dire la plus vaste possible, aussi mouvante soit-elle. La méga-région pourrait être la bonne échelle pour autant qu’elle ne soit pas seulement la justification ultime d’une méga-continuité urbaine. Quelle que soit sa taille future, Mexico demeurera une ville géante mais enclavée et peu internationale, hormis le quartier d’affaires iconique de Santa Fe. Elle comprend peu d’étrangers (1 % des résidents), même si elle accueille chaque année un flot continu de touristes, comme Paris. Une situation qui l’a conduite, cependant, davantage à la sanctuarisation patrimoniale qu’à une réelle ouverture au monde. Capitale aztèque au XVe siècle, capitale du nouveau monde sur la route Europe-Asie au XVIIe, Mexico n’est pas assurée de retrouver au XXI siècle une position aussi flamboyante, que ce soit à cause du gigantisme dont elle sort à peine ou du fait du tourisme de masse, nouveau cancer urbain qui, un peu partout, asphyxie les métropoles.