L’urbanisme transitoire : Optimisation foncière ou fabrique urbaine partagée ?

L’urbanisme transitoire : Optimisation foncière ou fabrique urbaine partagée ?

Une enquête de l'Institut d'Aménagement et d'Urbanisme d’Île-de-France 

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Une enquête de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme d’Île-de-France

Délaissés, friches, terrains vagues… : toutes ces dénominations aux limites parfois floues, aux définitions statistiques complexes, font écho à des moments d’indécision dans la production urbaine et architecturale, à des périodes de crise économique (désindustrialisation, délocalisations), à des héritages insolubles, des terrains condamnés par la pollution des sols ou de trop longues négociations foncières.

Pour d’autres, les friches évoquent des espaces de reconquête écologique et de biodiversité, de liberté et de découverte, de free party et de happenings festifs. Dans ces espaces se sont longtemps installés des usages sans titre, des squats, préfigurant en partie ce que nous appelons ici l’urbanisme transitoire, où des occupations culturelles ont notamment pu être développées et parfois, pérennisées.

Les occupations transitoires héritières des squats

Les occupations transitoires sont en effet les héritières des squats, des occupations sans titre, spontanées et auto-gérées, voir auto-construites. Elles s’en rapprochent car :

  • Elles répondent à des besoins sociaux non satisfaits (à l’exception presque totale des besoins en logement, très rarement présent dans les projets). Les squats, comme l’urbanisme transitoire, visent en particulier à pallier l’absence d’espaces de création et de diffusion artistique accessibles dans certains territoires français.
  • Elles occupent des espaces vacants, non-occupés, ou en déshérence.
  • Elles sont pour la plupart issues d’une action collective et sont une occupation collective auto-gérée (pour presque 70% des actions)

En toute légalité

Mais elles s’en éloignent aussi car :

  • Les opérations d’urbanisme transitoire sont la version légale et non contestataire des squats. Ce sont des occupations avec titre, sur une durée limitée. Elles en acceptent en général le caractère transitoire, à l’inverse des squats qui revendiquent ouvertement de rester ou de changer la destination future des lieux.
  • La place de l’habitat y est très faible alors que les squats répondent fréquemment à la pénurie de logement abordable (Collectif Jeudi Noir, Droit au Logement…). Par ailleurs, les squats revendiquent aussi des modes d’habiter alternatifs.
  • Enfin, les squats concernent avant tout des groupes à faibles ressources économiques2

Plusieurs occupations sans titre peuvent être citées dans l’histoire des squats franciliens : la Générale (rue Rébeval, Paris 19ème), les Frigos (Paris 13ème, aujourd’hui régularisé), l’Electron (rue de Rivoli, Paris 1er, aujourd’hui régularisée), cité de la Jarry (Vincennes), le Chêne (Villejuif), Macaq (Paris 17ème), ou encore la Miroiterie (Paris 20ème).

Il faut également souligner l’impact du phénomène des friches culturelles, et le rôle majeur du monde artistique dans le réinvestissement de bâtiments vacants, révélant ainsi le potentiel et les possibles de ce patrimoine bâti, souvent considéré comme obsolète.

L’urbanisme transitoire rentre désormais dans le cadre juridique

L’urbanisme transitoire touche aujourd’hui les milieux institutionnels de l’aménagement après un long et lent processus permettant de passer d’un urbanisme très planificateur et top-down, dans la lignée de la reconstruction et des grands ensembles, à un urbanisme plus local depuis les années 1980 et les processus successifs de décentralisation, et plus concerté, depuis les années 1990 (création de la Commission nationale du débat public en 1995). Son esprit ouvert, créatif et DIY (Do It Yourself) était déjà présent dans la contre-culture des années 1970, mais alors relativement inaudible par les pouvoirs publics.

Les initiatives d’urbanisme transitoire s’inscrivent désormais de plus en plus dans un cadre juridique contractuel, et c’est là le changement majeur que l’on peut observer en Île-de-France depuis quelques années (mais aussi de plus en plus en régions : hôtel Pasteur à Rennes, Darwin à Bordeaux, parc Foresta à Marseille). La régularisation des occupations temporaires permet de les identifier comme un outil dans l’aménagement des territoires, une option maintenant possible. Elles se glissent ainsi dans les interstices temporels et spatiaux des opérations et des stratégies d’aménagement.

Les projets transitoires deviennent en effet des leviers d’expérimentations, des espaces de liberté dans des villes de plus en plus contrôlées, et des lieux où s’inventent de nouvelles façons de faire la ville, de concevoir des projets urbains. Ce souffle nouveau permet aussi de sortir d’une production de plus en plus standardisée des espaces bâtis, au moins pour un temps. L’engouement des acteurs de l’urbanisme sur un phénomène que certains estiment anecdotique et éphémère se poursuivra-t-il jusque dans les programmations des projets urbains, leurs formes, leurs usages ; dans les processus d’aménagement ? Il est encore tôt pour y répondre, même si nous avons quelques indices.

Etat des lieux

Cette étude vise à approfondir la connaissance du fonctionnement de l’urbanisme transitoire, à travers l’analyse des presque 70 projets identifiés en Ile-de-France depuis 20124, et d’entretiens menés avec les acteurs : occupants, aménageurs, collectivités, propriétaires.

L’urbanisme transitoire englobe toutes les initiatives qui visent, sur des terrains ou bâtiments inoccupés, à réactiver la vie locale de façon provisoire, lorsque l’usage du site n’est pas déterminé ou que le projet urbain ou immobilier tarde à se réaliser. Ces initiatives se situent entre le temps court de l’événementiel et de l’éphémère, et le temps long d’un urbanisme qui se veut durable.

Le terme d’urbanisme temporaire est également utilisé, l’accent est alors uniquement mis sur une notion de temps limité. L’adjectif transitoire suggère, lui, que l’initiative s’inscrit dans une histoire connectée, pas seulement une juxtaposition d’usages sans lien avec l’avenir du territoire. Le projet d’urbanisme transitoire peut ainsi constituer un facteur de transition du lieu, de son image, de ses usages, et ainsi de son futur…participant aux grandes transitions vitales : énergétique, écologique et économique.

L’étude de l’IAU a donc mis en valeur des projets s’implantant sur des parcelles publiques ou privées, donc hors espaces publics. Il existe également de nombreux projets transitoires sur des espaces publics en mutation, mais ceux-ci ne s’appuient pas sur le même jeu d’acteurs, les mêmes équilibres économiques, et n’ouvrent pas les mêmes possibles. L’objectif étant de mieux comprendre le fonctionnement de l’urbanisme transitoire : les sites occupés, les espaces créés, les usages développés, les acteurs impliqués mais aussi le temps et l’économie du projet, et son cadre juridique et réglementaire.


Télécharger l’étude de l’IAU
L’urbanisme transitoire : Optimisation foncière ou fabrique urbaine partagée ?