Le Grand Paris pour vous… avec Tamara Al Saadi

Le Grand Paris pour vous… avec Tamara Al Saadi

Du 23 au 28 novembre 2019, Place, pièce de la franco-irakienne Tamara Al Saadi, faisait se télescoper Paris et Bagdad sur les planches du 10

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Du 23 au 28 novembre 2019, Place, pièce de la franco-irakienne Tamara Al Saadi, faisait se télescoper Paris et Bagdad sur les planches du 104. Rencontre avec une comédienne, auteure et metteuse en scène engagée.

Le Grand Paris en un souvenir ?

Ma famille venait d’arriver à Paris lorsque j’ai vu pour la première fois la neige. Nous habitions un appartement dans le 16e. Dès que les premiers flocons sont tombés, mon frère et ma sœur se sont précipités dans le square en contrebas de l’immeuble. J’étais à la porte en train d’enfiler mon petit manteau quand ma grand-mère m’a saisie par le col de la veste de mon pyjama, elle avait peur que j’attrape froid. Je suis restée des heures figée à la fenêtre et, depuis, j’ai toujours la même émotion lorsque Paris se couvre de blanc. De mes six à vingt ans, j’ai ensuite vécu dans une grande tour du 15e, à Beaugrenelle. Ce paysage, c’est un peu ma maison parisienne, ma rencontre avec la Capitale. Je me souviens que nous n’avions pas de pendule au mur, on regardait l’heure sur la façade de la Maison de la Radio au dehors. Il y avait une vue magnifique sur la Seine et l’Île aux Cygnes. Je n’y ai jamais aperçu de cygnes, jusqu’à ce jour où je les ai vus s’envoler par la fenêtre. C’était le jour du décès de mon père.

Un jardin secret ?

Les cafés parisiens sont merveilleux pour rêver et écrire. Place, j’ai commencé à l’écrire il y a quatre ans, sur un canapé du Comptoir Général, au bord du canal Saint-Martin. C’est un bar avec de larges vitres, de grands sofas, souvent désert l’après-midi, où j’aimais beaucoup m’asseoir. Et puis, il y a tous les cafés des gares : attendre un train dans le café du Train Bleu, quel plaisir ! Les gares parisiennes, comme les aéroports, sont des espaces fantastiques, ce sont les endroits où je lis, où j’écris le mieux.

Un coup de gueule ?

Paris, en dépit de sa densité, possède tant de bâtiments vides… Je pense, par exemple, à cet ancien lycée hôtelier, Jean Quarré, dans le 19e arrondissement, aux immenses salles désaffectées : nous avons pu y abriter des réfugiés qui en ont ensuite été délogés. Tous ces espaces vacants ne demandent qu’à être habités, investis. Le fait que cette ville, au regard de son passé, de sa charge historique, ce envers quoi elle s’est battue et dressée, n’accueille pas de tout son être des gens qui ont été prêts à mourir pour la rencontrer, je trouve cela odieux.

Un coup de cœur ?

La visibilité qu’offre Paris à nos révoltes est tout aussi grande que sa capacité à les faire taire ! Des espaces comme l’esplanade du Trocadéro, pour n’en citer qu’un, sont uniques : récemment, 100 femmes s’y sont rassemblées pour dénoncer le centième féminicide, ces 100 femmes mortes sous les coups de leurs conjoints ou de leur ex-conjoints depuis le début de l’année 2019… Ce sont des lieux forts et des moments marquants.

Un rêve ?

Je rêve de décloisonner Paris, qu’il n’y ait pas de coupure entre le cœur de la Capitale et ses banlieues. Je rêve d’un réaménagement urbain où il serait possible d’habiter au fin fond du 93 et d’arriver en un quart d’heure au pied du Louvre. Je rêve d’une mixité de structures et d’institutions scolaires, médicales, culturelles qui embrasseraient les Parisiens au sens le plus large.

 

Tamara Al Saadi, Paris-Bagdad

« La France, c’est le pays où tu te prends un poteau dans la gueule dès que tu passes la porte. »

Tranchante et poétique, drôle et triste, Place, pièce de Tamara Al Saadi, est tout cela. Et c’est surtout l’histoire de Yasmine qui, après avoir fui Bagdad avec sa famille au début de la guerre d’Irak, reconstruit sa vie à Paris. Une héroïne, donc, mais deux comédiennes – fantastiques Mayya Sanbar et Marie Tirmont – pour montrer la déchirure d’un esprit tiraillé entre deux langues, deux pays, deux cultures. « Une partie du personnage se raccroche toujours à l’ailleurs », explique Tamara Al Saadi, qui avoue avoir trouvé l’impulsion de l’écriture au cours de nuits d’insomnie. « Je me réveillais parce que j’oubliais des mots de ma langue maternelle, confesse-t-elle, et je n’arrivais à me rendormir que lorsqu’ils me revenaient. Cela m’a forcée à me questionner sur les mécanismes d’assimilation qui sont l’enjeu de la pièce, cette convergence de forces, de situations, qui font que l’on finit par avoir honte de son origine. » En dépliant son parcours, celui d’une franco- irakienne, réfugiée à 5 ans dans la Capitale, diplômée de Sciences Po et aujourd’hui comédienne, auteure et metteuse en scène, Tamara Al Saadi a mis sur planches cette autofiction à l’aide de dispositifs simples : des chaises coques, un plateau noir brillant. « J’aimais l’idée de pouvoir inventer mille espaces avec très peu d’éléments, le fait de pouvoir raconter à la fois la préfecture de police de Paris ou une salle de classe bombardée. » Au fil des scènes, le sable s’infiltre partout, tombé des replis d’un manteau – d’une mémoire ? – ou en avalanche, depuis les cintres, à l’image d’une tempête de sable, courante à Badgad. Tel un fil, celui d’un sablier, il se fait aussi métaphore du temps qui passe. Celui-ci s’égrène à l’heure de l’Irak, à partir de l’opération Tempête du désert, en 1991. Avec économie, Tamara Al Saadi réussit ainsi la prouesse de faire cohabiter deux mondes dans un même espace, associant la capitale irakienne aux couloirs du métro parisien. À 33 ans, la benjamine du Festival d’Avignon 2019 montrera sa pièce du 23 au 28 novembre 2019 dans la Capitale, au 104. Avec des représentations se jouant déjà à guichet fermé et 38 dates de tournée prévues, un an après avoir fondé sa compagnie – la Base, avec Mayya Sanbar –,Tamara Al Saadi semble bel et bien avoir trouvé sa place.

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