Lauranne Germond, un pont entre les arts et l’écologie

Lauranne Germond, un pont entre les arts et l’écologie

En novembre 2018, COAL – Coalition pour l’art et le développement durable – a fêté dix ans d’un combat pionnier : soutenir les artistes engagés en fav

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En novembre 2018, COAL – Coalition pour l’art et le développement durable – a fêté dix ans d’un combat pionnier : soutenir les artistes engagés en faveur de l’environnement. Co-fondatrice de l’association, Lauranne Germond n’a de cesse de tisser des passerelles entre l’art et le Grand Paris. Une balade des quais de Seine aux tréfonds du super-métro en chantier.

Le Grand Paris en un souvenir ?

Je suis née à Paris : mon environnement immédiat s’est longtemps restreint aux trois rues qui entouraient mon immeuble, dans une petite impasse près de la gare d’Austerlitz. Le soir, après l’école, j’allais jouer au jardin des Plantes. Le week-end,
je m’amusais dans le hall ou sur le parking du garage d’en face, grande surface bitumée qui servait d’aire de jeux aux enfants du quartier. Jusqu’à 15 ou 16 ans, je pense que l’on grandit dans la Capitale un peu comme dans un village, dans une zone spatiale qui se réduit à l’appartement et à l’école. La mienne n’avait rien d’haussmannienne, ce n’est qu’à l’adolescence que j’ai eu mes premières émotions parisiennes, avec ces visions quasi-cinématographiques des quais de Seine ou de la tour Eiffel. Ma première nuit dehors, par exemple, a été un événement marquant. Avec une amie, j’ai déambulé dans Paris, balade qui s’est terminée perchée sur une sculpture du quai Saint-Bernard, à regarder le soleil se lever sur l’Île Saint-Louis, avant que la police ne nous prenne pour deux ados en fugue et ne nous arrête au petit matin.  

Un jardin secret ?

Je fais partie des Parisiens chanceux qui disposent d’un balcon. J’habite un 5e étage dégagé, plein ouest : le mien est donc très fleuri, avec plein de plantes et d’araignées. Le soir, c’est ici que je profite des derniers rayons du soleil. Par contre, deux ou trois fois par an, je change de peau et je me mets dans celle d’une touriste. Il est assez facile de se sentir dépaysée à Paris, même lorsqu’on y vit depuis toujours. Visiter le Panthéon, faire un tour en bateau-bus, rentrer dans les églises permettent de recréer quelques moments d’une aventure parisienne. Au printemps, j’ai par exemple traversé la ville en longeant la Seine jusqu’à la Maison de la Radio, c’était un souvenir merveilleux. COAL tente aussi de changer le regard sur Paris, en supportant les projets de plasticiens, comme par exemple celui de Michael Pinsky, lors de la COP21 : avec une équipe de plongeurs, l’artiste avait repêché les objets jetés dans le canal de l’Ourcq. Les épaves avaient été mises en lumière tout au long du canal, vision poétique en même temps qu’interrogation sur la notion de déchet.

Un rêve ?

J’aimerais une réduction massive de l’automobile et davantage de nature en ville, des petits lapins qui bondiraient dans les rues. L’association COAL porte un peu de ce rêve : l’un des artistes que nous avons primés, Olivier Darné, a ainsi lancé sa ferme urbaine sous les tours de Saint-Denis. En 2017, avec l’artiste Thierry Boutonnier, nous avons mis sur pied une pépinière, Appel d’air, afin de planter les parvis du Grand Paris Express. Ce grand chantier métropolitain représente pour nous un formidable déclencheur de projets, par exemple autour des sols du super-métro : notre Institut Sols Fictions a pour objectif de créer une légende urbaine autour de l’existence d’un phénomène météorologique, Cumulus subterraneus, qui serait caché dans les profondeurs du Grand Paris Express. Depuis un an, nous le pistons sur les terres du Grand Paris avec le collectif Chaoïde, Anaïs Tondeur et Yesenia Thibault-Picazo ainsi que les riverains de la future ligne… 

Un coup de gueule ?

J’ai une petite fille de cinq ans, petit bout en joie devant les gouttes de pluie et les rayons du soleil, qui m’a fait redécouvrir les cinquante centimètres au-dessus du trottoir. Les enfants sont en permanence en contact avec les pots d’échappement, les bruits de moteur, les odeurs des poubelles, les mégots de cigarette. Cette saleté générale, en plus de l’omniprésence des voitures, de la mauvaise qualité de  l’air, me rend la ville insupportable : les automobiles, notamment, sont les premières pourvoyeuses de pollution, de particules fines. Il est urgent de limiter leur utilisation. 

Un coup de cœur ?

Les Parisiens ne se rendent plus compte à quel point leur ville est belle : l’urbanisme a entremêlé les architectures en un tissu si dense, qu’il est possible, en une demi-heure d’une promenade à vélo, d’apercevoir des  merveilles. C’est ce contact permanent
avec la beauté qui fait la magie de Paris : il est très rare de trouver des métropoles avec une telle continuité urbaine, sans no man’s land aucun, où il est possible de traverser la ville de bout en bout en gardant le même émerveillement.  

Des artistes au secours des oiseaux

L’art « écologique » sera-t-il celui du XXIe siècle ? Depuis maintenant une décennie, le prix COAL récompense l’œuvre d’un artiste engagé au chevet de la planète. La récompense, unique en son genre dans le monde fermé des white cubes, a longtemps fait figure de pionnière. « En 2008, il n’était pas évident d’associer art et écologie, c’était presque une insulte pour un artiste », se souvient Lauranne Germond, directrice de COAL. « Le monde de l’art y voyait soit un phénomène de mode, soit une menace de récupération du travail des artistes, tandis que le monde de l’écologie, plus enthousiaste, percevait mal la réalité des pratiques artistiques. » Si l’association avait alors du mal à réunir 10 projets d’artistes témoignant d’un engagement environnemental, la prise de conscience semble avoir fait sienne le milieu de l’art contemporain :« Aujourd’hui, les artistes osent davantage se saisir des questions écologiques, tout comme les grandes institutions : les réseaux de l’artiste environnemental Tomas Saraceno sont actuellement présentés au Palais de Tokyo, ce qui aurait été impensable il y a quelques années », se félicite Lauranne Germond. 

La coalition COAL, quant à elle, continue à dénicher, et soutenir, les talents de demain  : le 24 octobre 2018, c’était donc au tour du plasticien français Jacques Loeuille de se voir distinguer parmi 350 dossiers venus de 66 pays.  Son  installation « Birds of America » se compose de sept films consacrés aux oiseaux disparus du continent américain ainsi qu’à la figure du naturaliste Jean-Jacques Audubon, père de l’écologie outre-atlantique.

L’angoissante extinction des oiseaux a également suscité la remise d’un second prix au projet « Cité d’Urgences – Apus Apus » : avec leurs abris pour oiseaux migrateurs, le duo de plasticiens belges Martine Feipel et Jean Bechameil se portera peut-être bientôt au secours des martinets en déroute de l’Île-de-France. Ce sera cependant avec un cycle de performances sur la fonte des glaces que COAL, le 28 novembre 2018, fêtera son drôle d’anniversaire, entre art et urgence planétaire.