La terre crue, nouvelle coqueluche des constructeurs ?

La terre crue, nouvelle coqueluche des constructeurs  ?

Depuis plusieurs mois, la ville de Sevran accueille une « fabrique » de terre crue à ciel ouvert. Ici, un consortium mené par Grand Paris Aménag

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Depuis plusieurs mois, la ville de Sevran accueille une « fabrique » de terre crue à ciel ouvert. Ici, un consortium mené par Grand Paris Aménagement s’emploie à trier des déblais de chantier. Objectif : transformer cette terre crue en matériau de construction. Enduits, mortiers, briques et panneaux sont ainsi créés, entre procédés artisanaux et industriels. Si la terre abonde, fournir des matériaux transformés en quantité suffisante est plus difficile.

La terre crue en tant que matériau de construction a-t-elle sa place en ville ? Vaste question qui devrait de plus en plus animer les débats urbains dans les prochains mois. Aujourd’hui, réglementation environnementale oblige, les constructeurs sont à la recherche d’une formule magique qui leur permettra de concevoir des immeubles à faible consommation énergétique, dotés d’une bonne isolation thermique et réalisés à partir de matériaux locaux pour limiter l’empreinte carbone. Ce graal se trouve peut – être sous nos pieds. « En Île – de – France, de 400 à 500 tonnes de terre vont être extraites des sous – sols d’ici 2030, notamment dans le cadre de la construction du Grand Paris Express. Et on ne sait toujours pas quoi en faire », déclare Paul – Emmanuel Loiret, architecte. Son agence Joly&Loiret s’intéresse depuis quelques années à l’intégration de la terre crue dans les nouvelles constructions. En 2017, l’agence rejoint une dizaine d’acteurs conduits par Grand Paris Aménagement. Objectif : remettre ce matériau millénaire au goût du jour. Le projet « Cycle Terre » est né. Son QG se trouve dans le centre – ville de Sevran, à mi – chemin entre deux chantiers de gares. Une situation idéale donc pour cette « fabrique », véritable terrain d’expérimentation à ciel ouvert.

45 % des terres réutilisables

Ce qu’on y fait? Du traitement et du tri de déblais, venus de différents chantiers gérés par Grand Paris Aménagement, afin de transformer ce « déchet » pour le rendre prêt à l’emploi. Comme le nom du projet l’indique, c’est tout un « cycle » qui est mis en œuvre, à mi – chemin entre l’artisanat et l’industrie. Premier acteur de la chaîne : Antea Group, une société d’ingénierie. L’entreprise, compétente dans l’étude des sols, analyse la terre qu’elle reçoit, s’assure qu’elle pourra bien muter en matériau de construction et garantit sa traçabilité. « Les sondages effectués par la Société du Grand Paris montre que 10 % des terres sont polluées, 45 % contiennent du sulfate et que l’autre moitié est réutilisable », précise Paul-Emmanuel Loiret. Les terres sélectionnées sont ensuite acheminées à Sevran pour être « triées par granulométrie » mais aussi par couleur. C’est ici qu’Amàco, centre de recherche et d’expérimentation, entre en scène.

L’Atelier matières à construire supervise ainsi le mélange des terres selon différentes formules et processus de transformation afin d’obtenir les types de matériaux souhaités. Le produit peut ensuite être envoyé sur d’autres chantiers pour servir de matériau de construction. « La majorité de la production sera probablement dédiée aux matériaux de parements extérieurs et de remplissage intérieur d’ossature. Les briques extrudées, qui servent à la construction de cloisons intérieures, pourraient aussi être très demandées car l’assemblage est rapide», explique Arnaud Misse, architecte et membre de CRAterre, un centre de recherche qui promeut l’architecture en terre crue.

Des procédés coûteux

Ainsi, 25 000 tonnes de matière pourraient être traitées chaque année à Sevran, ce qui produirait potentiellement 10 millions de briques de terre. Entre 250 et 25 000 logements par an pourraient ainsi être construits, selon les quantités utilisées par immeuble. Mais, tout n’est pas possible partout : un bâtiment construit à 100 % en terre crue, sur un territoire aussi urbain que le Grand Paris, est plutôt déconseillé, selon Ludovic Boespflug, directeur général délégué de Quartus, promoteur immobilier. « Si l’on veut que la terre crue trouve sa voie, il faut mettre en œuvre des procédés industriels moins chers. Par exemple, le coût d’une tour de 50 mètres entièrement construite en bois reste très important. Sauf si l’on met d’autres matériaux, plus économiques, aux endroits opportuns. Pour la terre crue, c’est pareil, il faut être humble », avance-t-il. Une humilité d’autant plus à propos que la terre crue craint la pluie et le vent si elle est mal fabriquée…

Le consortium de «Cycle Terre» a trouvé le site qui lui permettra de tester ses différentes solutions et innovations. Il s’agit d’un nouveau quartier de logements à Ivry-sur-Seine. « Sur les 60 000 mètres carrés de bâti prévus, la moitié sera construite principalement en terre crue », assure Ludovic Boespflug. Ici, les immeubles excéderont pas cinq étages et seront situés assez près les uns des autres afin de se protéger du vent. Autres astuces pour les maintenir à l’abri : ajouter de l’enduit de chaux pour faire gagner le matériau en résistance, construire certains bâtiments sur pilotis afin d’éviter que les façades du rez- de – chaussée prennent l’eau ou encore abriter les murs extérieurs sous des coursives. Mais pour espérer voir ce quartier sortir de terre dans les délais, il faudrait aussi que la « fabrique » de Sevran tourne à plein régime. « Aujourd’hui, le matériau n’existe pas en quantité suffisante pour réaliser ce projet », admet le promoteur.

Une nouvelle architecture

Malgré ses limites (coût élevé, fragilité face aux intempéries, production limitée), la terre crue a ses défenseurs, dont un de taille : l’Union européenne. A travers son fonds Feder, l’Europe a financé le projet « Cycle Terre » en octroyant près de 5 millions d’euros au consortium dans le cadre du programme « Actions innovatrices urbaines », soit « 80 % du montant présenté au départ », précise Magali Castex, chef de projet à Grand Paris Aménagement. Par ailleurs, d’après Paul-Emmanuel Loiret, nombreux seraient les professionnels de la Ville intéressés par ce « nouveau » matériau plein de promesse. « La terre crue change les habitudes. Aujourd’hui, on a d’abord une idée de projet et c’est seulement après qu’on cherche comment le réaliser. Avec la terre crue, c’est le matériau qui génère l’architecture», conclut-il. La terre crue est-elle en passe de donner naissance à une nouvelle architecture made in Île-de – France ? Pour avoir quelque chance d’obtenir une réponse, Grand Paris Aménagement devra mettre son plan à exécution. Il espère reproduire des plateformes comme celle de Sevran autour des gares du Grand Paris Express.