S’il était un livre, Anthony Bechu serait une encyclopédie, sans cesse actualisée. Sa soif de connaissances et son goût de l’ailleurs ont
S’il était un livre, Anthony Bechu serait une encyclopédie, sans cesse actualisée. Sa soif de connaissances et son goût de l’ailleurs ont donné naissance à de multiples projets, en France comme à l’étranger. Son fil rouge : intégrer le contemporain sans gommer les traces du passé.
« J’ai toujours dessiné et pris des notes, le carnet de dessin à la main sur tous les continents, pays, villes que je traversais. » Difficile de résumer Anthony Bechu en une phrase tant le personnage est pluriel (euphémisme, d’ailleurs, car son grand-père, son père et son fils portent les mêmes nom et prénom !). Mais nul ne se trompe en affirmant que le dessin et les voyages ont façonné l’homme, sa vision du monde et son œuvre. Lorsqu’on lui demande justement combien de projets il a conçu, l’architecte répond, dans un petit sourire : « Je n’en ai aucune idée. » Mais ils se comptent très probablement par centaines.
Dans la salle de réunion de son agence située dans le 15e arrondissement parisien, l’architecte de 72 ans n’a oublié aucun de ses projets. La retraite ? En théorie, il y est déjà. Mais en pratique, Antony Bechu bouillonne toujours d’idées. Il reçoit régulièrement des clients avec bonhomie, remporte des concours ardus, se confrontant encore et toujours au terrain.
Il faut dire que les chantiers, Anthony Emmanuel Bechu est tombé dedans quand il était petit. « J’ai vécu sur les chantiers pour rencontrer mon père, car il n’était pas souvent à la maison », confesse-t-il. Son père, Antony Lucien Bechu, était aussi architecte, tout comme avant lui son grand-père, Antony Édouard Bechu. Son destin, en quelque sorte, était tout tracé.
D’abord, apprendre…
Ses jeunes années sont ponctuées de rencontres décisives. À 18 ans, alors qu’il fréquente le lycée Claude Bernard à Paris, il crée un théâtre au rez-de-chaussée de l’établissement avec des professeurs, dont fait partie l’écrivain Julien Gracq. « On a ouvert les façades pour créer une mini-salle de représentation. C’est le premier projet que j’ai fait ! », se remémore-t-il, les yeux brillants. Quelques temps plus tard, c’est l’architecte Bernard Huet qui propose au jeune bachelier de suivre une formation dans le quartier des Halles, où il a créé une école d’architecture inspirée de l’enseignement des Beaux-Arts. « Nous avons étudié dans les frigidaires à fromage de la rue de Viarmes durant quatre ans. C’était extraordinaire ! J’ai énormément appris », raconte Anthony Bechu.
Passionné par les cours d’histoire de la Renaissance, il poursuit sa formation au Centre d’études supérieures d’histoire et de conservation des monuments anciens, installé au Palais de Chaillot. « Voici ce que j’en retiens : comment, à partir de l’analyse de l’histoire et de la géométrie, on peut recoudre les tissus anciens de la ville, tout en faisant revivre le passé », explique l’architecte. Un enseignement qu’il appliquera des années durant.
Premiers dessins
À la fin de sa première année à Chaillot, Anthony Bechu est rattrapé par une obligation de l’époque : le service militaire. Il marquera un tournant dans sa vie. Car le jeune diplômé, qui avait par ailleurs fait son mémoire de fin d’études sur l’architecture militaire, se voit vite proposer par l’armée, en 1977, de dessiner une caserne à Gap. Près de 275 000 mètres carrés, une paille… « Je leur ai expliqué qu’on pouvait faire une architecture militaire qui s’inspire de Vauban et d’Asfeld, tout en étant contemporaine », relate-t-il. Du fait de son expérience de la caserne, Anthony Bechu décide d’innover pour améliorer la qualité de vie des soldats. Il rapproche ainsi les douches des dortoirs. Ces derniers accueillent par ailleurs moins de lits par section afin de « redonner de l’intimité aux personnes », précise-t-il. Des terrasses sur lesquelles faire sécher son linge et un patio central ouvert aux activités sont également proposés. « L’armée m’a donné une chance folle ! J’avais organisé une équipe de huit architectes pour sortir le projet en un temps record », se souvient-il.
Histoire et géométrie
C’est à ce moment-là qu’Antony Bechu crée son agence, en 1979, et les projets s’enchaînent. Parmi les plus marquants, on retrouve, en 1989, la restructuration de l’îlot Edouard VII, dans le 9e arrondissement. Un projet qui durera dix ans. Pour préserver l’esprit de l’architecture haussmannienne, Antony Bechu analyse les plans du quartier depuis le XVIIIe siècle, réinterroge sa morphologie, dissèque les détails des façades, produit de multiples croquis. Il y intègre un centre d’affaires, des logements, deux théâtres, des commerces et réinstalle la salle de spectacle de l’Olympia. Près de 950 personnes travaillent sur ce chantier. « La rue Edouard-VII était fermée à la ville. Il y avait des ateliers avec des aires de livraison fermées au public. On a refait une rue avec des boutiques, restauré les bâtiments de l’avenue Caumartin, rouvert le parcours jusqu’à l’Opéra. Grâce à ce projet, on a résolu des problématiques importantes : comment jouer avec l’architecture et les tracés des XVIIIe et XIXe siècles, comment raccorder les histoires avec la géométrie », poursuit Anthony Bechu.
Nature et architecture
La géométrie est un domaine qui passionne l’architecte, comme le montre, dans un autre registre, la tour D2 qu’il a conçue en 2014 dans le quartier d’affaires de La Défense. Dans ce paysage de tours somme toute très comparables, la forme ovoïde et les losanges en façade qui se multiplient à l’infini interpellent. Et pour cause : la tour s’inspire des propriétés d’un arbre. « Sur cet exosquelette à l’empreinte carbone remarquable puisque nous avons économisé 30 % de matière par rapport à une tour de même gabarit, les structures des planchers font office de branches. Ces dernières tiennent les feuilles que sont les losanges », indique l’architecte.
Des projets qui s’inspirent de la nature, Anthony Bechu en a imaginé beaucoup. Le biomimétisme a ainsi servi à la conception du District 11 de Skolkovo, dans la banlieue de Moscou. Au début des années 2010, le gouvernement souhaite y créer un centre de recherche et de développement, mais aussi un quartier pour les chercheurs et leurs familles. L’agence d’Anthony Bechu dessinera ce dernier projet qui verra le jour en 2014. L’architecte imagine alors une centaine de maisons, positionnées de manière concentrique, proches les unes des autres. « Quand un pingouin revient de balade, les autres se serrent contre lui pour le réchauffer. Ensemble, organisés en cercles concentriques, ils forment des îlots de chaleur naturels. Ce modèle, transposé à l’urbanisme, permet à chaque lot de maisons d’économiser 5 degrés de température, et d’ainsi minimiser les besoins énergétiques de chaque unité d’habitation », souligne l’architecte. Ici, les températures descendent facilement sous la barre des -10° l’hiver.
À 72 ans, Anthony Bechu est résolument tourné vers la transmission (il est directeur des écoles d’art américaines de Fontainebleau). Mais il continue aussi d’apprendre auprès de start-up que l’agence accompagne et de jeunes architectes qui travaillent à ses côtés à l’agence (elle regroupe une quarantaine de personnes aujourd’hui). La quatrième génération est déjà à l’œuvre. « Ça aussi, c’est une renaissance ! » conclut-il.
Retrouvez l’intégralité de l’article dans le 37ème numéro d’Objectif Grand Paris
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