« De la peur à l’espoir »

« De la peur à l’espoir »

Medellin, l’ex-capitale du crime, a changé. La création de transports en commun a permis de désenclaver les quartiers les plus ghettoïsés. Parallèleme

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Medellin, l’ex-capitale du crime, a changé. La création de transports en commun a permis de désenclaver les quartiers les plus ghettoïsés. Parallèlement, de nombreux équipements et espaces publics ont été réalisés, sur le mode participatif, pour tisser des liens entre les habitants et vaincre la terreur.

Medellin n’est plus la capitale du crime. Elle a quitté la première marche de ce sinistre podium en menant une vigoureuse politique d’« urbanisme social » entre 2004 à 2007, sous l’impulsion d’un maire exceptionnel, Sergio Fajardo – devenu ensuite gouverneur de la province d’Antioquia. Le bilan de départ avait la couleur du sang : pour la seule année 1991, Medellin dénombrait 6 349 morts par homicide. Le second a redonné de l’espoir : en 2014, ce chiffre est descendu à 659.

La capitale de la province d’Antioquia compte aujourd’hui 2,5 millions d’habitants (4 millions dans l’aire urbaine). « À Medellin, il y avait deux villes : au centre, la ville planifiée et, sur les versants, la ville informelle, où vivent les déplacés. La population se répartissait à 50/50 entre chacune des deux », explique Natalia Castano Cardenas, architecte au Centre d’études urbaines et environnementales, un organisme universitaire qui mène depuis deux ans un programme d’accompagnement de  la politique mise en place par l’ancien maire et poursuivie par ses successeurs.

Une violence endémique

À Medellin, le centre historique est construit en fond de vallée. Mais, depuis plusieurs dizaines d’années, des Colombiens expulsés de leurs terres par la misère et la violence viennent s’entasser dans les villes. Dans ce pays, la violence est endémique depuis 70 ans : il y a celle des multinationales qui exploitent sans ménagement les richesses du pays (agriculture, pétrole, ressources minières), celle des fameux narcos, celle des militaires et des paramilitaires, et celle des guérillas qui s’opposent depuis des lustres aux prédateurs ci-dessus cités mais imitent à l’occasion leurs méthodes. Conséquence : la Colombie compte 7 millions de « déplacés », réfugiés dans leur propre pays. Ils vivent dans une misère terrifiante dans les comunas, ces quartiers informels situés sur les pentes abruptes qui enchâssent la ville. Des bicoques, des cabanes, des abris faits de tout et de rien, soumis aux pluies diluviennes et dévastatrices, et bien sûr dépourvus des services minimaux d’hygiène et de sécurité. Dans ces ruelles sordides en à-pic, les trafiquants, tueurs et autres prédateurs étaient les rois du monde à l’époque où Pablo Escobar, célébrissime baron de la drogue, et ses alliés ou concurrents, recrutaient de jeunes sicarios (sicaires = tueurs à gages) dès l’âge de 12 ans. Misère, drogue, prostitution, violence en tous genres, ces coupe-gorge étaient alors totalement refermés sur eux-mêmes.

Fédérer les habitants dans un projet collectif

C’est dans ce contexte qu’est intervenu Sergio Fajardo, un professeur de mathématique décidé à faire bouger les choses. Son credo : « Percer des portes dans les murs de l’impossible », ces murs qui enfermaient tous ces habitants dans le même cauchemar. Élu après une campagne électorale de terrain menée à pied dans les quartiers les plus défavorisés de la ville, cet homme, convaincu que « la dignité est un pouvoir » a réussi à fédérer les habitants de Medellin autour un projet intitulé « De la peur à l’espoir ». Son leitmotiv ? Construire « une ville pour la vie » en désenclavant les quartiers, en créant des points de rencontres pour les familles, où trouver du soutien public, des aides, des formations et parfois du travail, et en soutenant des associations communautaires qui organisent des activités : théâtre, danse, expositions, sports, etc. Objectif : réunir les habitants pour qu’ils s’engagent dans un même projet collectif et participatif. Cette municipalité s’est appuyée sur un ambitieux programme de transports en commun (deux lignes de métro, nord-sud et est-ouest + téléphérique) pour créer dans les comunas des équipements publics conçus autour de l’idée de convivialité. Au programme : des bibliothèques (dont l’une construite sur une ancienne prison-centre de torture), des centres sociaux, des équipements sportifs et culturels, mais aussi des places publiques en belvédère pour que les habitants de Medellin se rencontrent dans des lieux apaisés, s’asseyent sur des bancs dans les nouvelles aires de jeux pour surveiller leurs enfants ou pour contempler la beauté de la ville étincelante sous leurs pieds… Cette ville soudain devenue leur ville. Car ces grands travaux ont, en quelque sorte, prolongé le centre dans la périphérie, repoussé les frontières de la ville et intégré en son sein des « zones » qui en étaient exclues. Le métrocable escalade sans effort le versant vertigineux de la comuna 1, offrant aux passagers un panorama époustouflant et un horizon plus lointain. Dans la comuna 13, des escalators partent désormais à l’assaut de la pente. Ces deux quartiers étaient autrefois les plus redoutables de Medellin. Aujourd’hui, leurs habitants saluent les visiteurs avec le sourire et même avec une certaine fierté.

Assurer une présence municipale

Dans le même temps, « la mairie de Medellin a développé à grande échelle des programmes éducatifs dans des quartiers où il n’y avait auparavant aucune présence municipale », renchérit Maria Valencia, urbaniste et bonne connaisseuse de la ville. Avec le programme Buen Comienzo, le taux de scolarisation des enfants a été multiplié par trois et une vingtaine de programmes UVA (Unidad de vida articulada), conçus pour et avec les habitants sur un mode participatif, ont stimulé la convivialité et la solidarité entre les gens. La mairie a embauché massivement des jeunes, vêtus de gilets rouges frappés du slogan « Todos por la vida », chargés d’assurer une présence publique dans les rues de la ville.

L’insécurité finit par coûter cher…

Mais comment cette politique a-t-elle été financée ? Dans ce pays, qui est l’un des plus inégalitaires du monde, les plus riches ne payaient pas l’impôt foncier… Cela aussi a changé, peut-être tout simplement parce que l’insécurité commençait à leur coûter cher en mesures de protection et autres gardes du corps. C’est ainsi que financements et subventions ont été débloqués, en même temps qu’une vaste campagne de communication s’attachait à changer la réputation de la ville.

Est-ce réussi ? À l’heure de la nueva Medellin qui expose ses gratte-ciel flambant neufs et son métrocable sur les pages des journaux économiques, on pourrait croire que oui. Medellin est aujourd’hui présentée comme la ville de tous les changements, la cité où investir, la capitale de la croissance. Images de tours qui montent à l’assaut du ciel, d’hôtels de luxe, de parcs et d’espaces publics soignés, de musées d’art contemporain, d’hommes d’affaires et de touristes. Mais il se dit que ces immeubles rutilants blanchissent souvent l’argent de la drogue. Même si elle-ci s’est faite plus discrète, les « dommages collatéraux » s’étant aujourd’hui déplacés au Mexique.

Medellin a changé, c’est vrai. Nombre de « déplacés » peuvent maintenant sortir de leur quartier pour trouver du travail. Ils ont désormais un peu plus les moyens – et l’envie ! – d’embellir leur logis qu’ils peignent de couleurs vives, si pittoresques aux yeux des touristes. Mais les commerces sont encore munis de solides barreaux. Et les logis sont encore souvent bien frustres. Fussent-ils multicolores…

Ce reportage a été réalisé dans le cadre d’un voyage Ajibat, l’association des journalistes de l’habitat et de la ville, à Medellin et Bogota, en décembre 2015.