Hong Kong, Dubaï, Singapour : l’illusion des « cités-Etats » ?

Hong Kong, Dubaï, Singapour : l’illusion des « cités-Etats » ?

Les tensions qui déstabilisent Hong Kong sont-elles des épiphénomènes ou trahissent-elles la fragilité extrême d’un mode de développement hors-s

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Les tensions qui déstabilisent Hong Kong sont-elles des épiphénomènes ou trahissent-elles la fragilité extrême d’un mode de développement hors-sol, libéré des États-Nations traditionnels ?

Hong Kong, la reprise en main

L’ancienne colonie britannique, aujourd’hui région administrative spéciale de la Chine, a connu des années fastes. Sa localisation au sortir du delta de la rivière des Perles, son port en eaux profondes, débouché maritime de Canton, qui fut longtemps la seule ville chinoise autorisée à commercer avec l’étranger, en ont fait de longue date un centre d’échanges puis un centre nancier. Au nom d’une doctrine marketing d’apparence idéale (un pays – deux systèmes), elle a pu continuer, après 1997 et la n de la gestion britannique, à être un comptoir de la mondialisation au sein d’un pays au système dirigiste. L’alliance entre une puissance industrielle hors normes et une place nancière et d’échanges de premier plan. Sur un caillou de 1 000 kilomètres carrés, une des villes les plus attractives et chères au monde s’est développée avec une densité bâtie unique. À la Grande-Bretagne, les Chinois ont adressé un dernier hommage bien particulier, rappelant sur une stèle, ironiquement située en haut du Victoria Peak, ce que fut le coût humain des guerres de l’opium entretenues par la puissance coloniale. Mais l’Empire du milieu ne pouvait autoriser, jusqu’en 2047 et la n de ses engagements internationaux, qu’un confetti de 7 millions d’habitants remette en cause un mode de gestion autoritaire et hyper nationaliste, seule solution selon ses dirigeants pour contenir les attentes diverses de 1,4 milliard d’habitants et 56 ethnies.

La stratégie employée a d’abord été celle du containment. Renforcement du réseau des villes du delta de la rivière des Perles dont Canton est la capi- tale provinciale. Aujourd’hui, le grand Hong Kong s’étend jusqu’à Shenzhen, 13 millions d’habitants, dans laquelle l’État investit massivement. De même, la Chine a réalisé un pont de 55 kilomètres pour relier Hong Kong à la Chine continentale via Macao. Nouvelle étape de la banalisation du statut de l’île. Il n’est pas anecdotique que les émeutes à Hong Kong aient démarré avec la menace de transfert des prisonniers politiques en Chine continentale via le nouveau TGV relié à Shenzhen et au réseau national. Constituer une mégalopole en réseau de 100 millions d’habitants participe d’une ambition économique globale mais vise surtout à bloquer tout modèle de gouvernance alternatif. Si la Chine n’a pas cédé aux parapluies rouges hongkongais, ce n’est pas par manque de pragmatisme, c’est par souci non négociable d’unité nationale, quitte à étouffer sa créativité et faire fuir la finance internationale.

Dubaï, capitale éphémère du world tourism

À Dubaï, tout se veut mondial : la hauteur de la tour Burj Khalifa (820 mètres), la prochaine « world tower », censée dépasser 1 000 mètres, mais aussi le centre commercial géant (1 200 commerces) qui sert de passage obligé pour l’accès à la tour, l’offre hôtelière qui atteint 100 000 chambres, l’aquarium géant, la piste de ski dans le désert, une palmeraie en pleine mer, un archipel d’îles arti cielles en forme de planisphère, composé de centaines d’îlots arti ciels à plusieurs kilomètres des côtes. Dubaï, place portuaire, commerciale et financière, s’est diversifiée dans le tourisme de masse et mise désormais en premier lieu sur l’immobilier de séjour, alimenté par la jeune compagnie aérienne Emirates qui dessert à prix cassés la métropole, pour des séjours ou des escales de trois jours, d’où l’intérêt d’en faire un hub mondial. Dubaï est devenue le concentré du tourisme mondial, un cœur de modèle. On peut aller à Dubaï sans sortir de son hôtel géant de la palmeraie, directement atteint en monorail qui nous dépose au cœur du centre commercial attenant et dont la seule autre sortie est celle de l’aquarium… géant.

Mais, le modèle touristique hors-sol de Dubaï est un pari très risqué fondé sur une stabilité régionale hors- contrôle pour un micro-émirat qui ne compte que 300 000 autochtones et fort peu de ressources naturelles. Il nécessite des nances sans limites pour un marché immobilier à la merci d’un effet de mode fugace par nature. Sont également indispensables l’accord de voisins intrinsèquement plus riches en ressources naturelles et la soumission de 90 % de la population sans statut ni permis de séjour durable. Dubaï s’apparente à un Disneyland des sables sans marché captif, sans climat ni ressources pérennes et sans aucune maîtrise géopolitique.

Mais déjà, la concurrence s’affute. Abu Dhabi, capi- tale des Émirats Arabes Unis et grand fournisseur de pétrole, a bâti en une simple décennie une mosquée référente pour tout le monde musulman ainsi qu’un musée décentralisé du Louvre, œuvre magni que de Jean Nouvel. Doha, capitale du Qatar, n’est pas en reste avec son musée national dessiné par Nouvel et une stratégie régionale offensive. Dubaï avait rêvé devenir le nouveau Beyrouth du Moyen-Orient mais n’a pu éviter les guerres et con its dans lesquels l’ont entraînée ses puissants voisins, l’Arabie saoudite au Yémen puis avec le Qatar et enfin l’Iran. Ces deux derniers étaient des partenaires majeurs pour construire un pilier mondial financier et touristique. Or, l’investissement se raréfie, l’hôtel Burj Khalifa ne se remplit pas, le projet de deux nouvelles palmeraies artificielles a été abandonné et « World Island » est à l’arrêt, progressivement effacée par la mer et l’érosion, faute d’acquéreurs. Dubaï est tout autant le nom d’une réussite visuelle et touristique spectaculaire que celui d’un investissement à haut risque, comme l’a rappelé la Covid qui a durement frappé l’économie touristique de l’émirat.

Singapour, une réussite aussi spectaculaire que fugace ?

Singapour est un îlot de prospérité, reconnu comme tel dans tous les classements internationaux : troisième métropole mondiale la plus attractive, premier pôle asiatique pour les investissements R&D, ville la plus chère au monde, premier aéroport mondial en trafic passager, deuxième port mondial en fret, quatrième place nancière mondiale. Singapour doit sa réussite exceptionnelle à une logique entrepreneuriale d’ensemble : une formation de pointe pour le plus grand nombre d’habitants, une gouvernance stable dans la durée, un taux d’imposition très faible pour les entreprises (moitié de notre impôt sur les sociétés), pas de territoire à gérer hors 700 kilomètres carrés dévolus au développement, pas d’armée à entretenir, nombreux employés indiens et pakistanais aux droits minimes. Ajoutons à cela une stratégie diplomatique extrêmement élaborée qui en fait un lieu de rencontres internationales recherché, ainsi la rencontre Trump – Kim Jong-un. Après sa sortie de la fédération de Malaisie en 1965, Singapour a su ménager les relations avec son grand voisin chinois comme avec les leaders occidentaux. Le modèle suisse appliqué à un petit îlot au poids économique impressionnant.

Mais combien de temps durera un modèle certes très élaboré, mais aux fragilités si palpables ? Singapour ne pourra assurer indéfiniment son extension par extraction de sables sur les îles voisines hors règles internationales et maintenir des statuts aussi différents entre autochtones et immigrés temporaires. Singapour n’est surtout pas à l’abri du percement d’un nouveau détroit au nord de la Malaisie ni d’un rapatriement des avoirs chinois une fois pacifiée Hong Kong. Un îlot de prospérité qui ne supporte pas sa part des charges régionales demeurera constamment à la merci d’un renversement d’alliances. La crise économique engendrée par la pandémie virale, plus brutale qu’ailleurs au sein de sa population étrangère, est un autre signe de faiblesse du modèle.

Au-delà des fragilités intrinsèques des nouvelles villes- États, il en est une récente : à cette étape de la globalisation, la fluidité des capitaux comme des investissements est la règle. Les géants de la nouvelle économie numérique sont des libertariens à la recherche d’appariements ponctuels, adeptes de villes flottantes et sans attaches. Ils ne rêvent que de vitesse, de uidité, de géographie effacée et de zones franches. Dans un tel univers pixélisé, des villes comme Tokyo, New York, Londres ou Paris, assises sur une culture multiséculaire, une diversité de champs investis et des États-Nations incontestés, comptent paradoxalement plus d’atouts pour résister et s’adapter que des plateformes offshores qui peuvent très vite passer de mode et tomber en dé- suétude. Les cités-États de l’Antiquité comme de la fin du Moyen Âge n’ignoraient pas que leur rayonnement n’était durable qu’en contrôlant des territoires et des routes commerciales. Elles en payaient le tribut.

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