‘C’est d’abord à nous, urbanistes, d’écouter’

‘C’est d’abord à nous, urbanistes, d’écouter’

Retour sur le parcours de Gérard Pénot, Grand Prix de l’urbanisme 2015. Profondément militant, l'urbaniste raconte sa passion de la ville, l'impact de

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Retour sur le parcours de Gérard Pénot, Grand Prix de l’urbanisme 2015. Profondément militant, l’urbaniste raconte sa passion de la ville, l’impact de cette récompense sur son travail ainsi que sa volonté de transfomer l’espace public.

Comment vous est venue cette passion pour la ville ?

J’ai grandi place de la République, à Paris. Dans les années 1960, c’était un quartier très populaire. J’évoluais dans un univers spatial composé en partie de logements dégradés. J’ai donc assisté aux grandes rénovations urbaines qui s’opéraient, notamment dans le quartier de Belleville et dans le Marais. Et certaines de ces opérations ne me plaisaient pas du tout. C’était terrible de voir des îlots rasés, l’apparition de rez-de-chaussée aveugles sans fenêtres ni vitrines. Je vivais assez mal la construction des dalles qui occultaient complètement le rapport à la rue.

C’est donc la transformation de Paris qui vous a conduit à l’urbanisme ?

J’ai d’abord intégré, à 20 ans, une association en tant que militant. C’était ma façon de m’opposer à la défiguration de Paris. Mais ce n’était pas suffisant, je voulais comprendre les mécanismes urbains. À l’époque, je travaillais en tant que technicien dans un atelier de l’industrie agro-alimentaire. À la fin de ma journée, j’allais en cours du soir à l’université. J’ai obtenu ma licence d’urbanisme sans pour autant vouloir en faire un métier. Finalement, après mes années de formation, en 1981, j’ai fondé l’Atelier Ruelle avec l’architecte Alain Fournier.

Recevoir le Grand Prix de l’urbanisme est, selon vous, une « forte responsabilité ». Allez-vous changer votre façon de faire la ville ?

Il n’y a pas de recette miracle. Le temps reste et restera la clé pour réussir un projet urbain qui peut s’engager sur des décennies. Il faut pouvoir comprendre les enjeux, discuter les propositions et se mettre d’accord avec élus, habitants, commerçants, associations, etc. sur ce qui pourrait muter ou au contraire être préservé. C’est une véritable immersion qui n’est possible que si l’on a cette jouissance de travailler avec les gens. On ne peut pas arriver avec un projet pré-établi à faire passer coûte que coûte. C’est d’abord à nous, urbanistes, d’écouter.

Où est-il le plus difficile de faire évoluer les villes ?

Les territoires périphériques, situés en deuxième et troisième couronnes, sont assez complexes. Déjà, il faut arriver à les faire vivre autrement que cloisonnés dans des micro-secteurs pavillonnaires, industriels, commerciaux ou encore agricoles. Ensuite, les distances sont très grandes. Bien que je défende les bonnes pratiques liées à l’environnement, on ne peut empêcher les habitants des zones éloignées des centres d’utiliser leur voiture. Les réalités sociales et économiques doivent être prises en compte. Je regrette parfois les discours « écolo » stigmatisants. Certains habitants ne se sentent pas assez considérés dans leur mode de vie, ce qui conduit à des résultats malheureux dans les urnes…

Vous aimez « détourner » les usages dans l’espace public. Quel est le détournement le plus réussi que vous ayez réalisé ?

En 1992, je suis intervenu à Saint-Nazaire pour réhabiliter deux immeubles de logements sociaux qui juraient avec leur environnement composé de grosses maisons individuelles dans un quartier balnéaire. Une vingtaine d’années plus tard, je suis revenu sur les lieux : les aménagements étaient plutôt réussis, les eucalyptus qu’on avait plantés avaient bien poussé. Une petite fille de 8 ans environ s’est alors approchée de moi, me demandant ce que je faisais dans son quartier. Puis elle m’a dit : « Ah oui, c’est beau ici ! Avec mes copines, on vient jouer ici parce que c’est beau ! » Une forte émotion m’a envahi. Pour moi, ceci est un détournement d’usage ! Cet îlot a permis à des enfants de différentes catégories sociales de se retrouver pour jouer ensemble.

Crédit photo : Livia Saavedra